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Bulletin trimestriel
n°139 (année 2010)

article extrait

Des éoliennes dans le paysage !!
Auteur : Alain Vaillant, membre du Bureau de Nord Nature Environnement

La loi de programmation, du 3 août 2009, relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement (loi Grenelle 1) a placé au 1er rang des priorités la lutte contre le changement climatique notamment en portant à au moins 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie à l’horizon 2020.. Ceci en tenant compte des objectifs nationaux. C’est le volet éolien de ce schéma qui est en cours d’élaboration . Pratiquement, l’objectif national est, pour 2020, d’avoir une puissance éolienne installée de 19.000 MW à répartir entre les régions

A) La mise en oeuvre :
Un groupe de concertation s’est réuni à quatre reprises et a été aidé dans ses travaux par deux bureaux d’étude qui ont, au niveau du territoire, croisé le potentiel éolien régional avec les contraintes paysagères, architecturales, naturelles ainsi que les servitudes et contraintes techniques.
Selon ces professionnels, « la quantification est basée sur la capacité des territoires à accueillir des éoliennes en se basant sur une densification des parcs existants, le développement de nouveaux pôles de densification ou l’arrêt des pôles inadaptés. Cette approche intégrant les distances de respiration entre les pôles de densification, de structuration ou la ponctuation. »
Le résultat est constitué de deux parties : une cartographie des zones éligibles avec leur capacité d’accueil et une quantification à l’horizon 2020. Ces résultats sont téléchargeables sur internet

B) Pratiquement :
C’est environ 10% du territoire régional qui peut accueillir des éoliennes, pour une puissance totale installée de 1349 MW au maximum
Si, effectivement, ces 1349 MW éoliens sont installés en 2020, ils produiront par an 7% de la quantité d’électricité produite à Gravelines durant la même période.
C’est ridicule.
Le potentiel d’énergies renouvelables est variable suivant les régions. Par exemple, pour ce qui est de l’énergie solaire directe (qui nous arrive en flux tous les jours), la région PACA reçoit, par mètre carré, presque le double de ce qui arrive en 59/62. Par contre, notre région a un potentiel éolien important et régulier.
Et donc, plafonner dans notre région la production d’électricité d’origine éolienne à 7% de ce que produit actuellement Gravelines, c’est enfermer les énergies renouvelables dans la marginalité.

C) La méthode des deux bureaux d’étude :
La cartographie des zones possibles d’implantation de grandes éoliennes a été présentée par les deux bureaux d’étude comme un empilement de zones interdites, ensuite de quoi on regarde ce qui reste.
C.1) des interdictions objectives :
+ Les servitudes et contraintes techniques liées à la Défense Nationale, aux radiocommunications. . . qui sont incontournables, sauf à prendre des risques dans le domaine de la sécurité.
+ La conservation de la biodiversité existante (qui est déjà fortement dégradée) au niveau des ZNIEF, des réserves naturelles . . .
+ Le patrimoine paysager sous sa forme règlementée (Sites inscrits, classés,…)
+ Le « patrimoine architectural » : 500m autour des monuments historiques inscrits et classés
C.2) des interdictions subjectives :
+ Les « paysages à protéger » issus de l’Atlas des paysages du Nord Pas de Calais
+ Les « paysages à petite échelle » : ce sont des « entités de paysages dont l’échelle réduite est inadapté à l’éolien »
+ Les « paysages de belvédères » : issus des Schémas paysagers éoliens 59/62
+ Les « cônes de protection des sites et monuments » : cônes de vues remarquables à partir ou vers les monuments historiques emblématiques régionaux
Ces interdictions subjectives sont issues des arguments des « défenseurs du paysage » dont on parlera au paragraphe F

A aucun moment, le discours n’a été positif par rapport aux éoliennes. On aurait pu entendre : « dans ce secteur, les habitants ont une consommation électrique nettement au dessus de la moyenne et ce serait une bonne chose que d’y implanter des éoliennes car ils verraient la difficulté d’attraper l’énergie du vent ! ». Ou encore : « dans ce secteur il y a énormément de vent et cela est perçu de manière très négative par les habitant. On pourrait y créer un parc éolien financé par une structure à participations individuelles : ils y prendraient leur revanche … »

D) Comment en est-on arrivé là ?
C’est l’Etat via le Préfet de Région et la DREAL qui, ayant en charge l’application de la loi, ont choisi les deux bureaux d’étude. Celui des deux qui pilote l’opération s’intitule lui même « agence de paysage ».

Des aspects, à mon avis importants, liés à cette nécessité (légale) de développement de l’éolien n’ont pas du tout été abordés. Notamment pour faciliter l’acceptabilité des implantations d’éoliennes, il aurait été possible :
• de mutualiser l’aspect financier de la création de parcs éoliens avec ceux qui vont les avoir dans leur paysage immédiat, et ainsi de créer des « portes parole » des éoliennes
• de faire une cartographie différenciée selon la taille des éoliennes : les critères paysagers « mangent » moins de surface pour des éoliennes de 50 m de haut que pour des éoliennes dépassant les 150m
• de développer l’information du grand public sur la nécessité du développement de l’énergie éolienne et la chance que l’on a d’avoir un gisement éolien important dans notre région
• de croiser la cartographie des consommations d’électricité avec le gisement éolien pour responsabiliser les consommateurs : dans les secteurs de forte consommation, il « faut » produire beaucoup.
• d’utiliser la cartographie des consommations électriques : dans un secteur où la consommation électrique est importante, y placer de nombreuses éoliennes diminuerait les « pertes en ligne » les jours de bon vent
A l’issue des travaux de l’instance de concertation, la Fédération Nord Nature Environnement s’est positionnée en estimant que cette puissance éolienne installée en Nord Pas de Calais à l’horizon 2020 devrait être de 1700 MW obtenus en diminuant les contraintes subjectives liées aux paysages et à l’architecture.
Depuis début Mars , la DREAL consulte toutes les collectivités territoriales , de la région, de taille supérieure à la commune pour recueillir leurs observations éventuelles.

E) Le problème de l’intermittence :
A l’évidence, l’énergie éolienne est intermittente. Comme nous espérons, le plus rapidement possible, remplacer les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, …) et le nucléaire par des énergies renouvelables, cette intermittence est un problème central.
La première méthode consiste à mettre en œuvre ce que l’on nomme « le bouquet énergétique des renouvelables » ; c'est-à-dire, pour la production électrique, le photovoltaïque , l’hydraulique, la biomasse.

Le photovoltaïque peut-il avoir une production significative au nord de la France ? Et bien oui. Dans la région Nord Pas de Calais, les surfaces bâties représentent 495km² (source : base TERRUTI 2008 du Ministère de l’Agriculture) ; en y mettant des panneaux photovoltaïques ayant un rendement de 10% (ils produiraient 10% des 1000 KWh/m²/an qui arrivent au sol), on produirait plus de 10 fois toute l’électricité que l’on consomme dans notre région (particuliers, usines, écoles, … )!. Ce calcul a juste pour objet d’entrevoir ce qui est possible. Mais, ce qui va être prioritaire dans les 10 prochaines années, ce sera de récupérer l’énergie solaire sous forme de chaleur pour nos lieux de vie (en remplacement des hydrocarbure que nous finissons d’épuiser).

Mais, même comme cela, il y aura des moments où les renouvelables ne pourront pas, par la production instantanée, satisfaire la demande de consommation électrique comme elle est actuellement.

Dès les années 60 EDF a été confronté au problème de l’adéquation de la production électrique avec la consommation car les réacteurs nucléaires qu’ils allaient mettre en place sont des « instruments » assez inertes : on ne les arrête pas le soir quand la consommation diminue (actuellement, c’est 25% de moins la nuit que le jour) pour les remettre en route le lendemain matin. Il peut être intéressant de regarder de près les méthodes mises en œuvre pour résoudre ce problème.

Le recours aux énergies fossiles. Tous les hivers, EDF remet en fonctionnement des centrales de production d’électricité à partir de fuel et de charbon (cela s’est encore pratiqué durant l’hiver 2009-2010). A l’évidence, cette méthode est à proscrire tant pour le climat que dans une perspective de fin des énergies fossiles.

L’orientation de la consommation des abonnés. La mise en place de tarifs « heures pleines-heures creuses », « tempo », … sont autant de moyens d’inciter les abonnés à consommer lorsque le « consommateur moyen » diminue sa consommation. Pratiquement, avec un contrat « Tempo » le prix du KWh varie de 0.05€ à 0.50€ suivant le moment de consommation dans l’année. Dans le cadre d’un développement massif des énergies renouvelables pour nous fournir l’électricité, le prix de cette électricité à la fabrication sera dépendant de la météorologie. On pourra augmenter l’amplitude entre les prix extrêmes du KWh, mais surtout informer les abonnés de la variation des prix des jours suivants en fonction des données météorologiques. Cela permettra au consommateur d’organiser ses dépenses d’électricité (15)

Le stockage massif de l’électricité hydraulique. En Savoie, à coté de Moutiers, le barrage de La Coche est situé à 1400m d’altitude. Une conduite forcée amène son eau à l’altitude 400m où elle produit de l’électricité avant d’être retenue dans un barrage à Aigueblanche. Cela est tout à fait classique, mais en plus, lorsqu’il y a trop d’électricité sur le réseau EDF, celle-ci est utilisée (les turbines fonctionnent également comme pompes) pour remonter l’eau du barrage du bas dans celui du haut. Cette installation d’une puissance de 320 MW fonctionne depuis 1970 .(16). Actuellement, en France, c’est plus de 5000 MW d’installations à 2 barrages qui sont en fonctionnement. Comme ordre de grandeur, on peut rapprocher ce nombre de la puissance de la centrale de Gravelines : 5400 MW. Cette technique est un très bon exemple de stockage de l’électricité : son développement devrait être étudié dans la perspective du déploiement des énergies renouvelables.

Il y a enfin d’autres moyens de stocker l’électricité, mais quantitativement ils ne sont pas à la hauteur du problème global : batterie d’accumulateurs, air comprimé, volants à inertie, …


F) Acceptabilité dans les paysages :
Les grands éléments artificiels du paysage(17) de notre région ont, depuis deux siècles, subits des modifications importantes :
• vers 1800, on comptait environ 3000 moulins à vent (18)
• au 20ème siècle ils ont disparu en même temps qu’apparaissaient les poteaux et pylônes de distribution de l’électricité
• depuis la fin du 20ème siècle, on voit apparaitre des éoliennes et elles sont de plus en plus grandes. Et, plus une éolienne est grande, plus son impact est grand dans le paysage
Or cette augmentation de la taille des éoliennes est essentiellement liée à un critère économique : le temps de retour de l’investissement (19). Dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres, c’est l’économie qui dicte les choix avant tout autre critère. (20)
Dans ce survol du paysage sur deux siècles, il y a des modifications fortes et qui, dans notre région ont été très bien acceptées : ce sont les pylônes à haute tension.
Comme cette « occupation du paysage » s’est bien passée, on peut essayer de voir quelle serait la puissance éolienne si on mettait dans la région autant d’éoliennes qu’il y a de pylônes électriques à haute tension, ces éoliennes étant de taille comparable à ces pylônes.
Le calcul est simple, il y a dans notre région 7330 pylônes de hauteur comprise entre 20 et 50m (21). Si on place 7330 éoliennes de 850 KW dont le centre de l’hélice est à 44m (22) on obtient une puissance installée de 6230 MW (23).

Il y a donc une voie possible qui, évitant les éoliennes de 150m de haut impactant trop le paysage, permettrait d’avoir, vers 2020 un parc éolien en Nord Pas de Calais d’une puissance importante, comme le préconise Nord Nature Environnement. Cette voie éviterait les contraintes excessives et ne fâcherait pas les défenseurs du paysage et de l’architecture.

Renvois :
1 Ce schéma sera simplement indicatif, il n’aura pas force de loi et donc ne sera pas opposable
2 Constitué de représentants de collectivités territoriales, d’administrations, de l’ADEME, du Syndicat des Energies renouvelables… et de 3 associations : le Groupe Ornithologique et Naturaliste, les Vieilles Maisons Françaises (anti éoliens) et la Fédération Nord Nature
Environnement. Ce groupe s’est réuni à l’initiative du Préfet de Région et du Vice Président de la Région chargé du Développement Durable et de l’Environnement
3 à l’adresse : http://www.nord-pas-de-calais.developpement-durable.gouv.fr/Elaboration-du-voleteolien, ou à l’adresse : http://www.nord-nature.org/environnement/energie/eoliennes.htm
4 en prenant un facteur de charge de 25%
5 s’y ajoutent les servitudes liées aux radars de Météo France, celles de l’aviation civile, les liaisons hertziennes…
6 les zones Natura 2000, les arrêtés préfectoraux de protection de Biotope, les Réserves Naturelles, les couloirs de migration d’oiseaux…
7 cet atlas a été publié par la DIREN en 2008
8 dixit les bureaux d’étude
9 Le 27 juin 2009, la DREAL avait déjà organisé un colloque, durant une journée à Arras, intitulé « Le défi des énergies renouvelables ». Durant cette journée, la moitié du temps avait été consacrée aux paysages…
10 on appelle « pertes en ligne » les pertes d’électricité qui se font durant le transport. Cela représente environ 10 % de l’électricité distribuée en France
11 ce nombre de 1700 MW était proposé par le Syndicat des Energies Renouvelables (SER), et cela nous a paru à ce moment raisonnable 12 jusqu’au 12 avril 2010
13 Communautés de Communes, Pays ainsi que les Syndicats Mixtes des SCOT,départements
14 La Commission des Affaires Economique de l’Assemblée Nationale a publié le 16 juillet 2009 un « rapport d’information » sur l’énergie photovoltaïque. On y lit, page 69, « La France reçoit 1,3 MWh par m² et par an ». Pratiquement, un carré de 65 km de coté (moins de 1% de la surface de l’hexagone) , recouvert de panneaux photovoltaïques ayant un rendement de 10%, produirait la même quantité d’électricité
que ce que l’on y consomme durant la même période
15 Au niveau domestique, c’est «le froid» qui consomme beaucoup d’électricité. On peut donc, par exemple, stocker de l’électricité dans un congélateur légèrement modifié. Si on est en période d’électricité « pas chère» et que les jours suivant elle va être «très chère», on descend la température des aliments de -18°C à -28°C. Les jours suivants, la température dans le congélateur remontera doucement sans consommer d’électricité et sans altérer la qualité des aliments. Faire tout cela à la main serait fastidieux, mais cela pourrait être transparent pour l’utilisateur : il suffit que le fournisseur d’électricité envoie l’information au «congélateur intelligent», via le réseau électrique.
16 Les caractéristiques de cette installation sont décrites sur un panneau à l’entrée du site du bas :
- la puissance maximale, en production d’électricité ou
en pompage est de 320 MW (ce qui correspond au
quart de la puissance d’un réacteur nucléaire):
- le rendement global est de 75%
- en moins de 5mn les 320 MW sont mis en oeuvre
(en turbine ou en pompe)
- cette puissance peut être fournie pendant 9 à 10h/jour (c’est à dire pour intervenir au niveau de la différence de consommation jour-nuit).
17 Cette notion d’artificialité est très variable d’un individu à un autre, ainsi que d’une époque à une autre
18 source M. Bruggman de l’ARAM (Association Régionale des Amis des Moulins).
19 c’est-à-dire le temps au bout duquel le produit de la vente de l’électricité est égal à l’investissement initial
20 Il faudrait plutôt dire que ce sont ceux qui en tirent profit qui dictent les choix
21 source : RTE (Réseau deTransport d’Electricité) Lomme.
22 Par exemple le type V52-850 de la Marque Vestas
23 Ce parc d'éoliennes théorique produirait annuellement un quart de ce que produit la centrale de Gravelines durant la même période.Ces 7330 éoliennes réparties sur les 1500 communes en 59/62 donneraient, en moyenne, 5 éoliennes par commune

 

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