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De l'importance des vers de terre |
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mise en page : Alain Vaillant | accueil |
Cette page relate un entretient avec 2 agronomes publié dans le journal "La décroissance" n° 47 de Mars 2008
Claude et Lydia Bourguignon sont agronomes et microbiologistes. Claude a même été élève de René Dumont, le premier candidat écologiste à l'élection présidentielle de 1974. Claude et Lydia ont travaillé à I'INRA, où ils ont essayé de développer des recherches en agriculture biologique et biodynamique. Devant les positions très anti-bio de l'institut, le couple a quitté la fonction publique pour fonder en 1989 le Laboratoire d'analyse microbiologique des sols (LAMS). Ils me reçoivent sur leur lieu de travail et de vie, au cœur de la Bourgogne, dans un village situé à une demi-heure de vélo de la dernière gare TER. Après des années de recherches sur l'état du sol, leur diagnostic est alarmant.
La Décroissance : En tant qu'agronomes,
vous avez tous deux travaillé à l'Institut national de la recherche
agronomique (INRA) ; comment cela s'est-il passé ?
Lydia. Nous nous sommes rencontrés à l'INRA dans les
années 1970. En 1985, nous avons participé à une étude
comparative entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique.
Ce thème d'étude a été accepté car il répondait
à une demande de lancer des recherches transdisciplinaires. Nous avons
mené ce programme pendant un an ou deux. Mais lorsqu'il a fallu publier
les conclusions, il y a eu des blocages très violents au niveau de la
direction.
Claude : Cette étude montrait a quel point la qualité nutritive
des légumes bio était meilleure sur de nombreux plans. C'était
insupportable pour I'INRA, cela remettait en cause trop de choses. Du coup,
rien n'a jamais été publié sur cette étude, c'est
comme si elle n'avait jamais existé !
Nous avons été écœurés par la mauvaise foi
de ce système qui censurait les résultats qui le dérangeaient.
Nous avons alors pris la décision de quitter l'INRA.
Vous étiez alors fonctionnaires ?
Oui, et on quittait la fonction publique pour lancer un laboratoire indépendant,
sans soutien ni moyens. Cela a été très dur. Aucune banque
n'a voulu nous aider. Au début, en 1989, on travaillait dans la cave
de cette maison.
Quel est le but de votre laboratoire ?
Faire des analyses physiques, chimiques et biologiques des sols pour aboutir
à un conseil à l'agriculteur afin de faire de la qualité
tout en arrêtant de polluer l'environnement.
Et vous avez eu des clients rapidement ?
Lydia : Oh non, on a mangé toutes nos économies, on n'a pas eu
de salaires pendant des années. La maison a été hypothéquée.
Cela a été très dur. Par la suite, on a eu des demandes
de la part des céréaliers, car nos études leur permettaient
d'utiliser moins de pesticides et moins d'engrais. Aujourd'hui, en Bourgogne,
ce sont les vignerons qui nous font vivre. Claude : Les agriculteurs qui font
appel à nous travaillent en conventionnel et veulent changer de manière
de travailler. On fait un état des lieux de leur sol. On leur indique
aussi quelle est la vocation de leurs terres. Cette notion de vocation a été
perdue par l’agriculture, alors qu’elle permet d’optimiser
les récoltes. Il y a des sols très bons pour les pommes ou pour
les légumes sur lesquels on cultive du maïs, alors que c'est une
absurdité. Mais entendre cela pour un agriculteur est souvent un choc
psychologique, car le choix des cultures ne se fait plus aujourd'hui en fonction
de la terre ou climat mais en fonction de ce qui est le plus subventionné
! C'est le sol qui peut dire de quoi il a besoin comme adjuvants et ce qu'il
peut produire, ce n'est pas Bruxelles, ni l'agriculteur ni la mode.
Les paysans ne savent donc plus comment leurs sols
se portent ?
Ah non. Déjà, ils ne le connaissent pas. Il existe une infinité
de sols différents, selon le climat, selon la nature géologique,
selon les plantes qui y poussent. Mais le plus souvent, leur sol est complètement
mort.
Qu'est-ce qu'un sol « mort » ?
C'est une terre où il n'y a plus rien : plus de vers de terre, plus d'insectes,
plus de faune. Alors qu'un sol vivant peut comporter jusqu'à 4 tonnes
de vers de terre à l'hectare, il nous arrive de ne pas trouver un seul
ver de terre dans certains sols. Tout est mort.
Lydia : Quand vous vous promenez dans un champ, si sa surface est complètement
glacée, comme un morceau de carton, vous pouvez être sûr
qu'il est mort. À un stade de dégradation important, il pourrit
et pue fortement. Par contre, si vous marchez sur un sol mou, aéré,
où vous apercevez de petits animaux, des crottes de vers de terre, c'est
un sol vivant. Il dégagera souvent une odeur de forêt très
agréable.
Qu'est-ce qui tue un sol ?
Les pesticides tuent les petites bêtes qui aèrent la terre. Or,
ces bêtes permettent à la terre de capter l'oxygène dont
a besoin la plante. Sans ces animaux. le sol se referme, l'air n'entre plus
et la racine pourrit a l'intérieur. Du coup. on met des engrais en surface.
et la plante ne se nourrit plus en profondeur. C'est comme mettre un être
humain sous perfusion : il ne mangera plus, ne mastiquera plus et au fur et
à mesure, ses muscles vont s'affaisser. Pour la plante. c'est pareil
elle est sous assistance. elle perd de sa force.
Claude : Si vous ajoutez du phosphore dans un sol, vous bloquez tous les champignons
présents dans la terre chargés de fabriquer le phosphore, c'est
l'effet feedback. Il ne faut mettre dans une terre que ce qu'elle ne peut pas
produire elle-même, ce qui dépend évidemment de son caractère.
L'agronomie aujourd’hui part du principe que les sols sont dépourvus
de tout, qu'ils sont vides. Ce qui est une absurdité totale, car dans
ce cas- là, nous serions entourés de désert et non de forêt.
Votre travail permet donc de se passer d’intrants
chimiques…
Il faut bien comprendre que si l'on a séparé au début du
XXème siècle les fonctions de docteur et celles de pharmacien,
on n'a pas encore séparé les entreprises de conseil en agriculture
et les fabricants d'engrais. L'agriculture conventionnelle pousse à mettre
de l'engrais tout le temps. Mais que voulez-vous ? Le lobby phytosanitaire est
un des plus grands lobbys du monde...
Lydia : Nous sommes vraiment un pot de terre contre un pot de fer.
Quels sont les effets de cette chimie ?
Claude : Par exemple, dans les années 1950, les sols comportaient 2 tonnes
de vers de terre par hectare dans les champs. Aujourd'hui, on en est à
moins de 100 kilos par champ cultivé. Au total, tout confondu, 90 % de
la faune des sols a disparu. Et cette dégradation est mondiale. L'herbicide
le plus répandu est le Round-up, Monsanto en vend 6 milliards de litres
par an. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'empoisonnement de la
planète que cela représente
Quelles sont les conséquences de la mort des
sols ?
La première conséquence est l'érosion. Aujourd'hui, le
sol fout le camp.
Au moindre orage les rivières sont chargées de terre. Ce qui n
est pas normal du tout Avant, les rivières n'étaient jamais boueuses
comme cela. Les plantes et les arbres retenaient la terre en bordure des rivières
et les sols captaient l'eau sans en être endommagés.
Ly dia : Ce qui part ainsi lors des orages ou des glissements de terrain est
le meilleur du sol. Ce qui ne fait qu'empirer les choses. Mais aujourd'hui on
trouve normal que les eaux soient boueuses après un orage...
Cette érosion des sols est-elle un simple déplacement
ou une perte ?
Claude : C'est une perte : la terre part dans la mer, elle est salée
et n'est plus récupérable. Dans le monde. nous avons ainsi perdu
depuis 1900 l'équivalent de un milliard d'hectares. C'est tout cela de
moins pour nourrir les êtres humains.
Lydia : Si vous polluez l'air ou l'eau, vous y ajoutez quelque chose. Si vous
arrêtez de polluer l'air et l'eau, l'atmosphère redevient respirable
et les rivières propres. Pour le sol, ce n'est pas pareil. Si vous arrêtez
de le polluer, il reste mort. Polluez le sol, et c'est un monde vivant que vous
tuez, vous y enlevez la vie. Vous perturbez sa structure intime. C'est extrêmement
long de revenir au point de départ. C'est très grave.
L'érosion, c'est le risque de famine aussi...
Claude : Eh oui, bien sûr. La mort des sols, c'est les chutes de rendement
par hectare que nous sommes en train de vivre, même si personne n'en parle.
Moins de sols, c'est moins de nourriture, évidemment. Je ne pense pas
qu’on arrivera a 10 milliards d'êtres humains sur terre.
Que faudrait-il faire pour redonner vie aux sols ?
Il faudrait repenser tout l'enseignement agronomique, tout ! Il faut arrêter
de dire que le sol est un support dans lequel on met de, engrais Arrêter
le hors-sol.
Lydia : Il faut dire la vérité, expliquer comment une plante vit
Arrêter de croire que les denrées alimentaires sont peu chères.
Le bas prix des pro duits alimentaires est déguisé chaque Français
paie 4 euros par jour pour la PAC en impôts. Avec cette somme, on pourrait
manger mieux. tout de même.
Il faut des mesures politiques ?
Ah oui, l'agriculteur dans son coin. il ne peut pas faire grand-chose. Mais
il n'y a aucune volonté politique. Tous les vingt ans l'intensité
de l'érosion double, et nous en sommes à peine à créer
des « observatoires » de l'érosion. On fait culpabiliser
le consommateur quand il prend un bain plutôt qu'une douche, alors que
l'on ne s'attaque pas au pouvoir politique qui décide de faire du maïs
dans les terres du Sud-ouest. Pourtant 70 % de l'eau consommée en France
est utilisée pour l'irrigation.
Claude : C'est difficile : on a supprimé toutes les chaires de microbiologie
des sols dans toutes les universités agronomiques du monde. Donc comment
faire pour répandre ce savoir auprès des agriculteurs ? Lydia
: C'est vrai, nous, on est des fossiles.
Une note optimiste pour finir ?
Lydia : Ah ! Les gens nous demandent toujours d'être optimistes, mais
ce n'est plus possible. Quand on a commencé, on était optimistes,
mais aujourd'hui, ce n'est plus possible. Il faut être adultes et lucides.
Claude : Tous les voyants sont au rouge, et pendant ce temps, on discute du
sexe des anges ou du pouvoir d'achat... Croire que par un miracle technologique
nous allons sauver cette civilisation, c'est faux.
Propos recueillis par Sophie Divry
Liens autour du jardin :
+ fabriquer son purin d’orties : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_j3.htm
+ attirer des papillons dans son jardin : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_j1.htm
+ la taille des arbres fruitiers : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_j2.htm
+ de l’importance des vers de terre : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_e7.htm
+ fabriquer un nichoir : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_b1.htm
+ apéritif cerise : http://www.nord-nature.org/fiches/fiche_c1.htm
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