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Ensemble pour la Nature

La lutte contre les grandes pollutions

 

 

La lutte contre les pollutions, toutes les pollutions, a fait, depuis le début, partie des objectifs de la Fédération NORD-NATURE. Il ne pouvait en être autrement compte-tenu de l'état de la région.

Région industrielle, région minière, région densément peuplée, sans qu'il n'ait jamais été tenu le moindre compte de l'environnement dans toutes les activités, le Nord Pas-de-Calais portait partout les stigmates d'une intense pollution des sols, des eaux, de l'air. Ces pollutions étaient anciennes ; elles avaient vu se succéder plusieurs générations humaines et les populations s'y étaient en quelque sorte habituées : il fallait un regard neuf, un regard extérieur ou de spécialiste pour s'en rendre compte, il fallait en faire prendre conscience aux habitants et aux responsables locaux.

C'est ce que la Fédération NORD-NATURE a tenté de faire par divers moyens et dans tous les domaines concernés.

Une anecdote qui en dit long sur cette pollution vaut la peine d'être citée :

Recevant dans les années 60 un jeune chercheur qui venait du Japon pour un stage d'un an dans mon laboratoire, je lui ai fait visiter Lille et ses environs. Passant sur un pont au-dessus de la Deûle, je lui ai indiqué le nom de notre cours d'eau : "Ah oui ! m'a-t-il répondu, la Deûle, je connais ; j'ai appris à l'Université de Tokyo que c'était la rivière la plus polluée du monde".

Sans commentaires ! Mais le défi était de taille pour les associations.

Le nombre d'interventions (protestations, à tous les niveaux, sensibilisation et information, conférences-débats, propositions...) est considérable et il ne peut être question ici de les inventorier toutes ; seules les plus importantes et les plus difficiles seront évoquées de manière détaillée.

 

 

1°/ La pollution atmosphérique

Même si elle n'a pas été l'objet de grandes luttes, ni d'ailleurs de grands succès, nous avons été très vite confrontés à la pollution de l'air car des usines, partout, crachaient leurs fumées, ainsi que les Centrales thermiques et les cheminées de toutes les habitations qui ne connaissaient que le chauffage au charbon. Le gaz sulfureux, les poussières noires étaient partout : les façades des maisons, les feuilles des arbres et... les poumons. Les habitants en subissaient les conséquences dans leur qualité et même, leur durée de vie. Il fallait réagir ; NORD-NATURE n'a pas été seule à le faire et nos réclamations ont été convergentes avec celles d'une autre association (Association pour la prévention de la pollution atmosphérique, A.P.P.A., animée essentiellement par des médecins). Le premier résultat a été la création de "l'Association pour le Réseau d'Etude et de Mesure de la pollution Atmosphérique pour l'agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing", dite A.R.E.M.A.L.R.T., sous l'égide du Président de la Communauté urbaine et sous la responsabilité du Service des Mines devenu D.R.I.R. puis D.R.I.R.E. ; NORD-NATURE a fait évidemment partie du premier Conseil d'Administration de cet organisme (en qualité de membre de droit) qui s'est révélé efficace, tout particulièrement vis-à-vis de la pollution industrielle ; cette dernière a baissé en même temps que survenaient des facteurs favorables dont la récession industrielle, la fermeture progressive des Centrales thermiques et l'utilisation du fuel léger et du gaz pour le chauffage domestique.

Depuis la mise en place de l'A.R.E.M.A.L.R.T. en décembre 1980, d'autres organismes identiques ont été créés avec la participation d'associations membres de la Fédération NORD-NATURE : l'A.R.E.M.A.D. pour le Dunkerquois et plus récemment l'A.R.E.M.ARTOIS pour le pays minier et l'Arrageois.

Mais la nature des pollutions a changé. Si les poussières noires et le SO2 ont diminué, ce sont les oxydes d'azote, l'ozone et les hydrocarbures volatils qui sont montés à l'affiche. C'est donc la circulation des véhicules à moteur qui est en cause et c'est contre elle que nous luttons aujourd'hui. Et puis, il y a aussi la dioxine dont nous avions signalé les problèmes dès les années 80.

Dans ce domaine, rien n'est jamais fini. A noter au passage qu'une étude menée par NORD-NATURE a montré que les émissions de gaz carbonique dans la région dépassaient très largement ses possibilités de recyclage en oxygène même si tout le Nord était couvert de forêts (or celles-ci représentent moins de 7 % du territoire).

La pollution atmosphérique, malgré les efforts de tous, dont NORD-NATURE, n'a pu qu'être à peu près maîtrisée, et l'air pur n'est pas encore au rendez-vous. Mais c'est l'eau qui a été pour nous l'enjeu des luttes les plus difficiles avec surtout deux grandes batailles : l'affaire TIOXIDE et l'affaire MAC-CAIN.

 

 

Références

- Eau, air et espaces verts : où sont les vrais problèmes ?, E. Vivier, Bull. NN. 1975, fasc.4, p.8-10

- La pollution dans la région du Nord ; III : la pollution de l'air, Anonyme, Bull. NN. 1981, fasc.23, p.30-35

- Arras, ville polluée ? un essai sur les bioindicateurs de la pollution de l'air, G. Sénécaut, Bull. NN. 1982, fasc.29, p.4-8

- De sevesite en dioxinite, S. Deblock, Bull. NN. 1983, fasc.31, p.20-30

- Une catastrophe écologique de grande ampleur : le dépérissement des lacs et des forêts d'Europe, J. Istas, Bull. NN. 1984, fasc.37, p.4-11

- Pollution par l'ozone été 95. L'absence d'informations, E. Vivier, Bull. NN. 1995, fasc.79, p.24

- Chômage et pollution, R. Trouvilliez, Bull. NN. 1996, fasc.84, p.29

- Aspects oubliés du développement durable ; III : Le cycle oxygène/gaz carbonique, E. Vivier, Bull. Nord-Nature, 1996, fasc.85, p.3-5

- Ozone et véhicules à moteurs, E. Vivier, Bull. Nord-Nature, 1997, fasc.88, p.37-38

- Environnement et santé, J. Istas, Bull. Nord-Nature, 1999, fasc.99, p.2-18

 

 

2°/ L'affaire TIOXIDE

La première mention de l'activité de l'usine TIOXIDE de Calais remonte à 1974 (Bull. NN, 1974, fasc.1) dans notre tout premier bulletin.

L'usine traite du minerai pour en extraire du bioxyde de titane, employé très largement pour colorer toute matière en blanc. Cette usine s'est installée en 1967 à l'est de Calais dans une zone qui était encore dunaire. Les problèmes de pollution résultent des procédés de traitement du minerai pour la fabrication de l'oxyde de titane : il faut traiter le minerai à l'acide sulfurique. L'usine fabrique elle-même l'acide à partir du soufre (d'où des dégagements très importants de gaz sulfureux SO2) et elle rejette à la mer tous les restes du traitement (acide sale et impuretés du minerai). Ce sont ainsi 9000 m3 d'effluents, correspondant à 350 tonnes d'acide sulfurique et 30 tonnes de sulfate de fer accompagnés de divers autres métaux, qui sont rejetés chaque jour.

Si NORD-NATURE s'en est inquiétée, c'est que, depuis la mise en route de l'usine, des poissons morts ou malades étaient pêchés en mer, de plus en plus nombreux, entre Calais et Dunkerque. Au début, les pêcheurs, discrets, ont rejeté une partie de leurs prises à la mer, craignant de ne pouvoir vendre le reste de la cargaison. Puis, face à l'ampleur des dégâts, l'affaire a été connue et TIOXIDE montrée du doigt... les pêcheurs se sont résignés à déposer une plainte contre X, accompagnée d'une demande en partie civile par une association locale membre de notre Fédération. Ce sont des scientifiques universitaires qui ont été chargés par la justice de procéder à des analyses, parmi lesquels le Professeur Durchon, premier président de NORD-NATURE que je venais de remplacer à la tête de la Fédération.

Les analyses effectuées sur les poissons présentant des nécroses (à la fois superficielles et internes) ont permis de retrouver, au niveau des plaies, des métaux lourds correspondant aux rejets de TIOXIDE.

Le Professeur Durchon et moi-même avons été invités à l’usine par la Direction de TIOXIDE à une table ronde à l'usine où l'on a tenté de nous démontrer l'innocuité des effluents rejetés, censés être parfaitement dilués par les courants de haute mer. Nous avons pu aussi visiter l'usine... propre, impeccable, moderne, où tout était commandé par un ingénieur en cabine mais où, curieusement, le seul ouvrier présent était celui qui effectuait la mise en sac de la poudre à la sortie du tuyau ; travaillant sans masque au milieu du passage des poussières d'oxyde de titane il était blanc des pieds à la tête.

Malgré l'excellente réception du P.D.G. nous n'avons pas été convaincus. Si mon collègue, en sa qualité d'expert désigné par la justice avait un devoir de réserve et ne pouvait prendre position publiquement, je n'étais, moi, tenu par aucun engagement ; donc, au nom de NORD-NATURE j'ai protesté auprès des diverses autorités (Préfet, Ministre et même Europe) mais nous n'avions pas accès aux prescriptions préfectorales (c'était avant la loi de 1978 à laquelle j'ai fait allusion au début du chapitre sur les affaires juridiques), il n'y avait pas non plus de directive européenne sur les rejets de ce type d'activité... alors nos réclamations avaient peu de chances d'aboutir.

Cependant, NORD-NATURE a proposé des solutions : soit le recyclage de l'acide sulfurique (mais le procédé coûtait plus cher que sa fabrication à partir du soufre), soit la neutralisation de l'acide par du calcaire pour former du sulfate de calcium (mais cela risquait de mettre en péril toute la production traditionnelle du plâtre).

L'affaire était néanmoins économiquement inquiétante comme en témoignait l'évolution de la pêche côtière. Grand Fort Philippe, principal port concerné, comptait. :

- en 1965 (avant l'installation de TIOXIDE) 26 chalutiers pour un débarquement de 1312 tonnes de poissons,

- en 1974, il ne restait que 13 chalutiers débarquant 259 tonnes de poissons,

- en 1976, les 6 chalutiers restant étaient à vendre

Malgré cela l'usine a continué. Le poids de l'industrie étant politiquement, économiquement, administrativement supérieur à celui de la pêche, c'est devenu un établissement classé dans la réglementation mise en place en 1975 avec des autorisations de rejets considérables, mais la mer poubelle était censée tout avaler et neutraliser.

Le problème s'est posé à nouveau quelques années plus tard : en 1985 l'usine a été autorisée à s'étendre. Nos soucis sont reparus.

L'enquête publique a été ouverte en décembre 1986. Bien entendu, NORD-NATURE a envoyé un avis défavorable dûment motivé. De nombreuses associations fédérées (NORD-NATURE St Omer, NORD-NATURE Arras, A.F.A.,...) et divers organismes universitaires (dont la station marine de Wimereux) ont envoyé aussi des avis négatifs, car l'étude d'impact nous était apparue insignifiante et les rejets autorisés augmentaient, selon les éléments considérés, de 19 à 27 %. Même GREENPEACE s'était associée à nos protestations.

Malgré tout cela, en 1987, paraissaient les arrêtés d'autorisation et les prescriptions préfectorales. Notre bataille avait été vaine.

Cependant, aujourd'hui, grâce à l'existence des Directives européennes qui obligent l'industriel à limiter les pollutions, grâce aux modification de process de fabrication (recyclage de l'acide), comme nous l'avions d'ailleurs proposé dès le début (voir plus haut), l'usine pollue beaucoup moins... mais encore beaucoup trop.

Les poissons et les pêcheurs ont disparu.

 

Références

- La mer, dépotoir de l'humanité, St. Deblock, Bull. NN, 1974, fasc.1, p.32-44

- Calais-Dunkerque : un littoral sacrifié, J.C. Bruneel, Bull. NN, 1976, fasc.5, p.21-29

- Pourquoi reparler de Tioxide ?, E.Vivier, Bull. NN, 1985, fasc.41, p.31-32

- Enquête d'utilité publique TIOXIDE-France, La feuille des A.F.A., J. Méreau, Bull. NN, 1987, fasc.46, p.6

- Pollutions littorales en Mer du Nord, E. Vivier, Bull. NN, 1987, fasc.46, p.4-5

- La mer empoisonnée : des milliers de poissons morts sur les plages de Calais à Gravelines, E. Vivier, Bull. NN, 1987, fasc.46, p.7-8

- A propos de TIOXIDE, E. Vivier, Bull. NN, 1987, fasc.48, p.7

- A propos des rejets de l'usine TIOXIDE à Calais. Communiqué de presse, Bull. NN, 1987, fasc.46, p.8

- Les pollutions sont toujours là : TIOXIDE-FRANCE (Calais), Amis de la Terre Littoral et Sepronat, Bull. NN, 1985, fasc.41, p.27-30

 

 

3°/ L'usine à frites MAC CAIN

Tout le monde connaît aujourd'hui les frites surgelées MAC CAIN. L'usine régionale du même nom nous a causé quelques soucis, non à cause de la qualité de la production, mais à cause de ses rejets liquides dans notre rivière internationalement connue (voir plus haut), la Deûle.

L'usine a été construite et mise en service en 1981, à Harnes, dans le Pas-de-Calais. Son installation semblait parfaite et même "écologique", comme nous le verrons plus loin. Mais nous avons eu la curiosité de regarder de près les prescriptions préfectorales en matière d'autorisation de rejets d'effluents liquides : c'était un "droit à polluer" inadmissible et donc, qu'il fallait faire modifier.

Ce droit, c'était par exemple (c'est le seul exemple que je prendrai) l'autorisation d'un rejet en D.C.O. de 2400 kg/jour ; c'est-à-dire, pour être plus clair, que la demande chimique en oxygène des effluents était de 2400 kg par jour... qu'il aurait fallu, en d'autres termes, 2400 kg d'oxygène par jour d'oxygène dissous dans la Deûle pour oxyder les rejets. Or la Deûle était déjà une rivière bien malade, dont les eaux étaient presque totalement dépourvues de cet oxygène précieux pour la vie. C'était donc la condamnation à la mort complète de cette rivière canalisée et la certitude d'avoir en permanence les mauvaises odeurs des fermentations putrides déjà souvent perceptibles en été.

Compte-tenu de la production annoncée de l'usine, compte-tenu des méthodes applicables pour l'épuration des effluents, nous avons estimé que la pollution autorisée pouvait être considérablement réduite, et donc qu'il fallait agir. Comment ?

L'enquête publique a eu lieu du 15 juin au 15 juillet et l'autorisation d'exploitation a été délivrée par le Préfet le 27 août 1981.

Nous étions intervenus avant l'enquête publique quand nous avions eu en avril les informations nécessaires ; nous sommes intervenus à l'enquête et aussitôt après, auprès du Délégué régional à l'environnement (actuel D.I.R.E.N.) en demandant une étude complémentaire... en vain.

Il fallait donc passer au Tribunal Administratif. Un recours en annulation de l'arrêté préfectoral avait peu de chances d'aboutir compte-tenu de l'importance de l'entreprise, et même, en cas d'annulation, le Préfet aurait pu prendre le lendemain un nouvel arrêté... ce n'était pas la bonne solution.

Nous avons donc déposé auprès du Tribunal Administratif un recours de plein contentieux qui nous permettait de demander au Président du Tribunal de décider lui-même des prescriptions à imposer à l'industriel, le Président se substituant ainsi au Préfet. De plus, dans un tel recours, nous n'étions pas tenus par le délai de 2 mois suivant la décision préfectorale, mais par un délai de 4 ans pour la recevabilité.

C'est avec l'aide d'un ami (ingénieur des mines et bien au fait des procédures) que j'ai rédigé et présenté ce recours de plein contentieux le 29 novembre. Nous demandions au Tribunal de substituer à l'un des articles de l'arrêté préfectoral fixant les flux de pollution, un autre article fixant des prescriptions beaucoup plus sévères que nous jugions à la fois plus respectueuses du milieu récepteur et susceptibles d'être respectées par l'industriel compte-tenu des techniques utilisables pour l'épuration. C'est ainsi que pour la D.C.O. nous demandions la réduction de 2400 kg/jour à 1000 kg/jour.

Evidemment nous avons eu contre nous, non seulement l'industriel soutenu par un cabinet d'avocats d'envergure européenne, mais aussi le Préfet du Pas-de-Calais et... le Ministre de l'Environnement, avec la D.R.I.R.E. en arrière plan. Les mémoires en défense de tous ces organismes nous sont parvenus courant 1982. A partir de là, a commencé le jeu des questions-réponses.

 

Mais à l'usine, les choses évoluaient. A la suite de notre recours, curieusement, la pollution rejetée baissait. Jugez-en : de 2000 kg/jour de D.C.O. le mois précédant notre recours, la pollution tombait à 110 kg/jour le mois suivant, pour osciller ensuite entre 100 et 400 kg/jour. C'était la meilleure preuve que la dépollution était possible et que l'arrêté préfectoral délivré était, en quelque sorte, une reconnaissance du droit à polluer.

L'affaire est passée en jugement le 17 mai 1984 (soit deux ans et demi plus tard). Devant les affirmations contradictoires des deux parties (je représentais NORD-NATURE) le Tribunal a suggéré de faire appel à des experts en me disant "Monsieur le Président, en l'absence d'expertise indépendante, le Tribunal ne va pouvoir que se déclarer incompétent ; seuls des experts pourront vous départager, mais c'est à vous de prendre en charge financièrement l'expertise et vous ne serez éventuellement remboursé que si vous gagnez votre recours. Quelle est votre réponse ?"

J'étais certain d'avoir raison, mais non de gagner au Tribunal. Prendre des experts était un pari et un risque financier... de combien ?

Néanmoins, après quelques secondes de réflexion, je décidais de dire oui aux experts. Quelques semaines plus tard, le Tribunal désignait deux experts : l'un de Paris, l'autre de la zone lilloise. NORD-NATURE devait avant même l'expertise, payer une provision aux experts ; bien sûr, j'avais fait avaliser ma décision par le bureau de NORD-NATURE...mais l'inquiétude restait.

Une première expertise, en présence de toutes les parties, eut lieu le 3 mai 1985. J'ai donc, ce jour-là, visité l'usine et vu l'ensemble de la fabrication des frites surgelées. De cette visite, éminemment instructive, j'ai retenu plusieurs images, les unes positives, les autres négatives :

en positif,

- la fabrication, impeccable, des frites avec le tri par des ouvriers tout le long du tapis roulant qui les transportait, le lavage, la cuisson, le relavage et la congélation

- la fermentation anaérobie des débris de pommes de terre dans de volumineux bassins pour l’obtention de méthane, recueilli sous des bâches avant son transfert vers les brûleurs de cuisson des frites où il était mélangé avec du gaz G.D.F. pour obtenir une combustion régulière

en négatif,

- les eaux de lavage des pommes de terre à l'entrée, qui n'étaient changées que tous les 2 ou 3 mois, de couleur marron et seulement décantées pour recyclage continu

- enfin un petit bassin d'aération des eaux usées pour épuration avant le rejet dans la Deûle et où, circonstance peut-être accidentelle ce jour-là, la pompe ne fonctionnait pas.

Une deuxième expertise a eu lieu le 18 septembre 1985, mais il s'est agi d'une table ronde entre les industriels assistés de leurs avocats, les experts et moi. Il s'agissait essentiellement pour les experts, de tenter un arrangement amiable, que je ne pouvais accepter.

Le rapport d'expertise était remis au Tribunal le 11 décembre 1985, à charge pour les parties d'y répondre, ce que NORD-NATURE a fait le 28 février 1986.

Ce rapport d'expertise mérite quelques commentaires. En effet, toutes ses pages du rapport montraient que nos conclusions sur l'épuration des eaux sont fondées sur tous les points, mais, dans la conclusion les experts estimaient qu'il n'y avait pas lieu de modifier les prescriptions préfectorales. Une telle conclusion était inacceptable pour nous, ce que nous avons montré au Tribunal dans notre mémoire en réponse.

Qui allait gagner ou perdre au Tribunal ?

En réalité, le Tribunal n'a pas eu à se prononcer sur le fonds. En effet, quelques jours avant l'audience, le Préfet, sur proposition de la D.R.I.R., a modifié son arrêté et considérablement réduit les prescriptions concernant les rejets de pollutions ; la D.C.O., par exemple, était ramenée à 600 kg/jour, c'est-à-dire en-dessous de ce nous avions nous-mêmes réclamé.

Nous avions gagné sans la bataille finale. Il ne nous restait qu'à nous désister et à demander seulement le remboursement des frais d'expertise par l'Etat.

Le jugement, rendu le 9 juillet 1987, nous a suivis. Nos frais d'expertises (environ 15.000 frs) ont été remboursés par la Préfecture du Pas-de-Calais et à l'audience, le Commissaire du Gouvernement a même félicité NORD-NATURE d'avoir effectué ce recours.

Donc, là, satisfaction totale, mais l'affaire avait duré six ans. Il faut, aux Associations, beaucoup de patience et d'opiniâtreté.

 

 

Références

- Rapport d'activités 1981, A. Delelis. Bull. NN, 1982, fasc.27, p.3

- Pollution industrielle agro-alimentaire. Un recours en justice de NORD-NATURE, E. Vivier, Bull. NN, 1987, fasc.49, p.27-29

- Un autre cas de l'utilisation du droit par les Associations. Le recours de plein contentieux, E. Vivier, Bull. NN, 1993, fasc.70, p.7-8

 

 

4°/ La gigantesque pollution par les métaux lourds

Dans cette région industrielle et minière, la sidérurgie est ancienne et celle des métaux non ferreux s'y est installée dès la fin du XIXème siècle.

Dès la naissance de NORD-NATURE nous avons été confrontés aux problèmes de la pollution par les métaux lourds, en particulier plomb et cadmium. Bien sûr, d'autres existaient ou avaient existé, laissant des traces indélébiles sur les sols de certains sites ; bien sûr aussi nous avons lutté contre d'autres pollutions industrielles. Mais celles qui ont essentiellement mobilisé notre attention, concernent deux entreprises : PENARROYA à Escaudoeuvres (près de Cambrai) et à Noyelles-Godault (actuellement dénommée METALEUROP) et la Compagnie royale asturienne des mines (C.R.A.M.) à Auby (actuellement dénommée Union Minière). C'était dès 1975.

 

C'est PENARROYA-Escaudoeuvres qui a, la première, été l'objet de nos interventions. L'usine était spécialisée dans le recyclage du plomb des batteries ; or les accumulateurs étaient entreposés à même le sol et à l'air libre, ce qui fait que les eaux de ruissellement entraînaient le plomb sur les terres du voisinage. Nous avons été alertés dès les années 70 par des habitants qui avaient constaté diverses intoxications suspectes d'animaux domestiques (volailles, moutons).

Presque en même temps, nous étions alertés par des habitants de la zone d'Auby-Noyelles-Godault pour une pollution au plomb et au cadmium par la C.R.A.M. et par PENARROYA. Il s'agissait là d'usines de traitement de minerai importé pour en extraire le plomb, le zinc et divers autres produits. En réalité ce sont les élus locaux qui nous ont alertés à la suite des rumeurs locales ; parmi eux il faut citer le Maire de l'époque, à Courcelles-les-Lens (Monsieur Roland Robert, élu Maire en 1977), ainsi que le Maire d'Auby (Monsieur A.Valette) ; c'est la mort anormale de deux vaches appartenant à un cultivateur, Monsieur Buitrille, qui a déclenché les interventions en 1977.

Notre première réaction a été de connaître les rejets des usines et les résultats des mesures effectuées par le Service des Mines (Direction interdépartementale de l'Industrie). Mais la loi d'accès aux documents administratifs de 1978 n'existant pas encore (voir plus haut), il nous a été impossible d'avoir des données sérieuses avant 1981. C'est donc seulement à partir de l'obtention des renseignements nécessaires que nous avons pu agir.

 

 

Le problème Escaudoeuvres

Sur nos conseils des analyses ont été pratiquées par plusieurs laboratoires sur des animaux morts de façon suspecte : les services de toxicologie de la Faculté de Pharmacie de Lille, les services de toxicologie de l'Ecole vétérinaire d'Alfort, de l'Ecole nationale vétérinaire de Lyon, du Laboratoire vétérinaire départemental de Lille.

Les premiers agriculteurs concernés dès 1981 ont été à Escaudoeuvres, Monsieur Bocquet pour des bovins, Monsieur Laine pour les poulets, Monsieur Vilain pour un mouton. Les teneurs en plomb étaient anormalement élevées. A Escaudoeuvres, un Comité de défense de l'environnement s'était constitué des 1977 et avait aussitôt adhéré à NORD-NATURE ; l'émotion était vive dans la petite cité industrielle, d'autant qu'un rapport, resté caché, avait révélé les doses importantes de plomb dans les sols autour de l'usine et des taux de plombémie importants chez les habitants (sur 44 sujets, 13 avaient un taux de plombémie supérieur à 350/µg par litre de sang, d'après la D.D.A.S.S).

Devant l'agitation et les actions des associations locales et de NORD-NATURE (pétition, opposition dans le cadre des enquêtes d'utilité publique, interventions à tous les niveaux), devant aussi les échos médiatiques et malgré les temporisations de la Sous-Préfecture, le Préfet du Département prenait la décision d'interdire la culture et la consommation des productions végétales sur le périmètre pollué autour de l'usine. De plus des mesures rigoureuses étaient prescrites à l'industriel pour éviter toute pollution du voisinage, en particulier, imperméabilisation et isolement des entrepôts, filtres,... mais qui ne pouvaient faire face à la pollution des sols. Alors l'entreprise a finalement réglé le problème en acquérant les propriétés voisines et en indemnisant les habitants.

Ainsi, depuis plusieurs années maintenant, l'usine d'Escaudoeuvres ne pose plus de graves problèmes. Mais il n'en est pas de même pour celle de Noyelles-Godault.

 

Les problèmes Auby/Noyelles-Godault

Bien qu'alerté par les élus locaux dès 1977, NORD-NATURE n'a pu s'investir dans les problèmes des usines C.R.A.M. à Auby et PENARROYA à Noyelles-Godault qu'en 1980 après avoir eu connaissance officielle des rejets et en 1981 après avoir eu connaissance du rapport I.N.R.A. sur la pollution des sols : les pollutions par le plomb, le cadmium et le zinc étaient considérables, de même que les rejets atmosphériques en gaz sulfureux.

C'est aussi en 1981 que NORD-NATURE va recevoir la première lettre du 30 septembre 1981 de Monsieur Debreyne : un agriculteur d'Auby signalait les déboires apparus dans son exploitation et les résultats des premières analyses (voir encadré). Bien sûr, NORD-NATURE, déjà engagé sur le même problème à Escaudoeuvres, a pris celui-ci en charge également. Nous nous sommes heurtés à des difficultés en voulant consulter les chiffres officiels (analyses de l'I.N.R.A. et du Service des Mines), mais nous avions néanmoins déjà obtenu copie des prescriptions préfectorales de 1980 dès le 11 juin 1980 (voir chapitre "actions juridiques") ; nous avons donc établi un dossier, renforcé régulièrement par l'abondant courrier de Monsieur Debreyne (9 lettres avec résultats d'analyses et problèmes rencontrés en 1982, lettres également jusqu'en décembre 1983).

Résultats d’analyses signalés par Monsieur Debreyne

à NORD-NATURE

Le 30 Septembre 1981

- Sol (analyses mars 1980) : 1000 ppm de plomb, 14 ppm de cadmium

- Productions : foie et rein d'une truie : 20 ppm Pb (analyse 28novembre1980), choux fourragers : 269 ppm Pb (analyse 28 janvier 1980), pommes de terre : 16 ppm Pb (analyse 5 mai 1980), poireaux : 92 ppm Pb (analyse 5 mai 1980), sang d'un bovin : 0.25 ppm Pb (analyse 10 août 1981).

Devant l'importance et les dangers de ces pollutions par le plomb et le cadmium surtout, NORD-NATURE est intervenue à tous les niveaux (Municipalités, Préfectures, Ministère) et auprès de l'industriel. Plainte était aussi déposée à Bruxelles auprès de la Commission des Communautés Européennes. En même temps, je sollicitais une entrevue avec le P.D.G. de l'entreprise PENARROYA. Une première réunion était alors organisée le 19 novembre 1982, à laquelle assistaient, aux côtés du Directeur, certains des ingénieurs de l'usine, un Professeur de l'Ecole vétérinaire de Maison-Alfort et un autre de l'Ecole vétérinaire de Nantes, un ingénieur agronome et quelques élus locaux. Tous mes interlocuteurs se sont ingéniés à démontrer que l'industriel était attentif à la sécurité, que la pollution rejetée, quoique parfois importante, était sans effet grave sur la santé des personnes et des animaux domestiques. Sans doute un dialogue s'était engagé mais avais l'impression que c'était un dialogue de sourds, chacun restant sur ses positions.

Pendant que NORD-NATURE harcelait les autorités officielles, un "Mouvement National de Lutte pour l'Environnement" (M.N.L.E.) créé à Paris à l'initiative, semble-t-il, du parti communiste, installait une section sur le Nord/Pas-de-Calais sous le nom de "Association Départementale du Nord pour la défense de la nature et de l'environnement". Cette association, se développant dans la zone d'Auby, prenait en charge le cas Debreyne alors que nous étions en train de constituer le dossier. NORD-NATURE a donc laissé après 1983 le cas Debreyne aux soins du M.N.L.E. (devenu depuis l'Association E.D.A., Écologie Développement Alternatif), se réservant les interventions visant à obliger l'industriel à réduire ses rejets polluants.

En effet aux rejets atmosphériques de SO2, plomb et cadmium, s'ajoutaient des rejets liquides très importants. Il était donc capital de prendre en considération l'ensemble des problèmes.

En 1983 paraissait une Directive européenne limitant les rejets de cadmium ; PENARROYA en rejetait beaucoup, beaucoup plus (environ 10 fois ceux fixés par la Directive). Donc nouvelles interventions de NORD-NATURE à tous les niveaux et devant toutes les instances car l'usine rejetait à elle seule les ¾ du cadmium autorisé pour l'ensemble du pays ; l'industriel s'engageait à mettre en place une station d'épuration de ses effluents liquides. Mais devant l'absence de toute réalisation le Préfet, à la demande du Ministère que nous avions saisi et relancé, prenait un arrêté de mise en demeure en juillet 1986 (à cette date l'usine rejetait encore 5 à 8 fois la quantité autorisée).

Une deuxième réunion (après celle de 1982) fut donc programmée entre l'industriel et NORD-NATURE le 9 octobre 1986. Je m'y suis rendu accompagné d'un stagiaire. L'industriel, par la voix de ses ingénieurs, a tenté de nous démontrer les difficultés de l'épuration et nous a parlé du coût des investissements (environ 35 milliards de frs) et du fonctionnement (15 à 20 millions par an).

Nous avons continué de demander la mise aux normes des rejets et devant les objections de l'industriel, nous avons quitté la séance. J'ai alors envisagé sérieusement un recours juridique mais NORD-NATURE a dû y renoncer par suite des difficultés de montage du dossier et de notre inexpérience dans ce type d'intervention. En effet, selon l'arrêté préfectoral, la mise en conformité devait intervenir en 1987, donc après le 1.1.88, PENARROYA était en infraction non seulement vis-à-vis de l'Europe mais aussi de la France malgré les délais accordés.

Il serait trop long de décrire ici les multiples interventions effectuées d'autant que de nouvelles personnes autour de METALEUROP, qui n'avaient rien dit jusqu'àlors, se plaignaient d'intoxication pour elles-mêmes et pour leurs animaux domestiques et que l'industriel indemnisait discrètement certains d’entre-eux et pas les autres.

En bref, il faut cependant noter plusieurs éléments de l'évolution des problèmes :

- A Auby la pollution rejetée a pu être réglée essentiellement par une modification des méthodes industrielles et par ailleurs, l'entreprise a racheté les habitations proches où se situaient les plus gros risques.

- A Noyelles-Godault, PENARROYA devenu METALEUROP en 1988, a continué de freiner les diverses mesures proposées malgré la gravité de la situation. NORD-NATURE avait officiellement porté plainte auprès de la Commission des Communautés européennes le 8 mars 1987 (accusé de réception le 8.4.87) ; la Commission européenne intervenait suite à notre plainte auprès du Gouvernement français dès le 2 avril 1987, puis le 16 septembre 1987, et enfin le 18 avril 1988 pour une demande d'explication. Ce harcèlement des autorités par le haut (Bruxelles) et par le bas (associations) a sans doute fini par payer :

- Un Préfet du Pas-de-Calais proposait dès 1985 un premier P.I.G. (Projet d'Intérêt Général) aux Maires... qui ne répondaient pas ( ce que nous n'avons su que beaucoup plus tard, sinon nous aurions fait l'information pour pallier la carence des élus locaux).

- METALEUROP finissait par obtempérer aux pressions de l'Administration en mettant en place les systèmes d'épuration les plus indispensables.

- Des enquêtes épidémiologiques étaient lancées pour connaître l'impact de la pollution sur les populations.

Quelques étapes de cette évolution sont relatées dans notre bulletin (NORD-NATURE, 1997, fasc.88) ; une autre mise au point est en préparation car le gigantesque problème de la pollution historique des sols autour des usines reste... ainsi que celle des vases de la Deûle.

Un nouveau PIG a été adopté par le Préfet en décembre 1997 mais en l’an 2000, il reste toujours lettre morte.

Si le cas Debreyne cité plus haut, pris en main par la section départementale du M.N.L.E., devenue E.D.A., a pu connaître un dénouement juridique (non encore financièrement réglé), les problèmes de fond, pris en main par NORD-NATURE, ont bien évolué aussi malgré les difficultés accumulées, malgré aussi l'absence de transparence à laquelle nous nous sommes souvent heurtés, malgré enfin le manque de fermeté ou/et de continuité dans les politiques menées tant par l'Etat que par les élus locaux et l'industriel, pour une meilleure préservation de l'environnement et de la santé publique.

Les affaires de pollution par les métaux lourds dans la région vont continuer d'alimenter les soucis des associations.

Il y a eu d'autres cas de pollutions semblables avec d'autres entreprises de la région, cas dont a eu à s'occuper NORD-NATURE, mais aucun n'a connu l'ampleur, heureusement, de celui de METALEUROP.

METALEUROP, c'est plus de 20 ans de lutte déjà et une pollution séculaire qui reste à résoudre.

 

 

Références

- Au travers du courrier de NORD-NATURE : Problèmes de pollution dans le Nord Pas-de-Calais, La rédaction, Bull. NN. 1982, fasc.26, p.21-22

- La pollution de l'environnement. Toxicité par le plomb, E. Vivier, Bull. NN. 1983, fasc.31, p.31-33

- Pollution par le plomb. Qu'en sait-on aujourd'hui ?, E. Vivier, Bull. NN. 1984, fasc.35, p.3-7

- Lettre de NORD-NATURE à Monsieur Jacques Delors. E. Vivier, Bull. NN. 1987, fasc.48, p.2

- La pollution par le cadmium dans le Nord Pas-de-Calais, Ch. Brunet, Bull. NN. 1989, fasc.56, p.26-28

- Du plomb dans la panse des animaux, P. Six et G. Bayart, Bull. NN.1990, fasc.61, p.47

- Le ball-trap a frappé une seconde fois, P. Six, G. Bayart et J.C. Delmotte, Bull. NN. 1991, fasc.62, p.38

- Environnement - pollutions : un jugement qui fera jurisprudence, P. Six, Bull. NN. 1993, fasc.72, p.35-36

- METALEUROP : Le point de vue de NORD-NATURE ; E. Vivier, Bull. NN. 1993, fasc.72, p.37-38

- Pollution par les métaux lourds et dépollution, E. Vivier, Bull. NN. 1994, fasc.77, p.4-6

- Le scandale caché du plomb : des dizaines d'enfants contaminés autour de METALEUROP, E. Vivier, Bull. NN. 1997, fasc.88, p.32-37

 

5°/ De gros problèmes évités

Certaines actions de NORD-NATURE, intervenues très en amont des projets, ont pu permettre d'éviter de très gros problèmes en provoquant l'abandon même de ces projets. Deux au moins sont à citer :

- les sels d'Alsace

- le Tumulus de Deulémont

L'action s'est située dans les deux cas au milieu des années 80.

 

Les sels d'Alsace

L'affaire s'est déroulée discrètement et a été traitée pratiquement entre le Préfet et le Président de NORD-NATURE.

Je suis invité à une réunion avec le Préfet le 17 novembre 1987, réunion pour laquelle on me demande la plus totale confidentialité. Je m'y rends, rencontre le Préfet qui me dit qu'il s'agit d'une affaire importante dont personne, pas même la presse, n'est au courant et pour laquelle il souhaiterait l'avis scientifique de la Fédération NORD-NATURE ; il me fait promettre le secret et charge son secrétaire général de me mettre au courant.

Le secrétaire général m'expose alors les données du problème. Il s'agit d'évacuer dans les eaux de la Mer du Nord, via le transport par la S.N.C.F. et le port de Dunkerque, les sels résiduels des mines de potasse d'Alsace.

Ces sels résultent de la purification du chlorure de potassium extrait du "minerai" : le chlorure de potassium (ClK) est utilisé comme engrais, mais le résidu du traitement est tout simplement du chlorure de sodium (NaCl) c'est-à-dire du vulgaire sel de cuisine. Mais par suite d'accords industriels remontant à 1920, ce dernier ne peut être commercialisé pour éviter toute rivalité avec les salines de Lorraine. Idiot ! peut-être... mais réel.

Alors le sel déchet (NaCl) est stocké sur place où il forme des sortes de terrils blanc grisâtre et jusqu'aux années 80 il était déversé dans le Rhin à raison de 130 kg à la seconde. Mais les Hollandais ne supportant plus de recevoir les eaux salées du Rhin, la France était mise en demeure par l'Europe de trouver une autre solution.

D'où l'idée de transporter le sel d'Alsace par le train jusqu'à Dunkerque et, chargé sur des barges, d’aller le déverser en mer du Nord ; du sel dans de l'eau salée peut paraître naturel, mais...

Mais avec quels risques ? était-ce écologiquement possible ?

La question de la Préfecture était claire. Pouvais-je y répondre, au double titre de scientifique et de Président de la Fédération NORD-NATURE ?

Le secrétaire général avait été clair, et j'ai apprécié son ouverture, sa sincérité et sa confiance, toutes qualités auxquelles un responsable d'association n'est pas habitué de la part de la haute administration.

Une précision au passage qui vaut bien un coup de chapeau de reconnaissance. Le secrétaire général s'appelait Hurand et c'est malheureusement lui qui, nommé ultérieurement Préfet de Haute Corse, eut à supporter l'accident du stade de Furiani qui a fait de nombreux morts ; nul doute que la confiance de cet homme droit avait dû être abusée.

J'ai donc demandé un délai de quinze jours pour apporter ma réponse en fonction des données fournies, à savoir :

- au début, déversement de 2.000.000 de tonnes/an, pour passer progressivement à 6.000.000 de tonnes/an.

- déversement en endroits, à deux et quatre km de la côte, sur des fonds de 13 et 16 m.

Le problème était à la fois physico-chimique et biologique. N'étant pas suffisamment compétent, je me suis renseigné par téléphone auprès de collègues biologistes marins et physico-chimistes, à Lille, Brest et Paris.

Le résultat des consultations était clair.

Compte-tenu du taux de saturation de l'eau de mer en sel, la quantité de sel déversé allait provoquer la formation au fond de l’eau d'une sorte de terril de sel au fond de l'eau dont la surface en solution sursaturée allait couler, s'épandre sur les fonds à la manière d'une coulée de lave. Cette lame d'eau sursalée allait alors tuer toute la faune des fonds marins (benthos) à raison d'une progression de 33 km² par an (pour les 2.000.000 de tonnes du début) : c'était la stérilisation progressive des fonds par la disparition des invertébrés (crustacés, coquillages,...) et des poissons de fonds (soles, turbots,...).

J'ai donc fourni le 2 décembre 1987 un rapport alarmiste au Préfet qui l'a communiqué au Ministère. L'affaire était toujours tenue secrète. Le Ministère a désigné un Préfet spécial qui est venu me rencontrer à Lille et avec lequel j’ai participé à une réunion à Dunkerque en présence des représentants de la S.N.C.F., du Port autonome et des Mines de potasse d'Alsace. Devant les arguments scientifiques irréfutables développés, le projet a alors été renvoyé pour des examens ultérieurs.

Des solutions intermédiaires ont été étudiées comme la dilution préalable du sel en une saumure qui serait projetée par une pompe pour aspersion dans les eaux de surface. Mais ces solutions techniquement complexes et coûteuses ont dû être, à leur tour, abandonnées.

Les Mines de potasse d'Alsace ont dû continuer d'entasser leur sel en monticules, en réduisant leurs rejets dans le Rhin, jusqu'à la fermeture de l'exploitation promise quelque dix ans plus tard.

C'est ainsi que NORD-NATURE, discrètement, a permis l'abandon d'un projet qui aurait été dramatiquement polluant et économiquement catastrophique pour la pêche (des détails complémentaires sont indiqués dans les bulletins NORD-NATURE, fasc.50 et 51, puisque, après, la discrétion n'était plus nécessaire).

Il est vraisemblable que, dans cette affaire le sérieux scientifique et la crédibilité de NORD-NATURE avaient joué pleinement leur rôle.

 

 

Références 

- Une affaire de gros sel. Du sel d'Alsace en Mer du Nord, via Dunkerque, E. Vivier, Bull. NN, 1988, fasc.50, p.2-4

- Sel d'Alsace en Mer du Nord. Une affaire de gros sel et de gros sous, E. Vivier, Bull. NN, 1988, fasc.51, p.2-3

 

 

Le Tumulus de Deulémont

L'affaire démarre pour nous en 1986 car la Communauté Urbaine de Lille (C.U.D.L.) avait projeté d'entasser ses déchets urbains sur un énorme tumulus situé sur les communes de Deulémont et Quesnoy sur Deûle, au Nord-Ouest de Lille.

En réalité, le problème couvait depuis plusieurs années. Il avait été évoqué pour la première fois dans une séance du Conseil de la C.U.D.L. dès 1978 et en 1979 il avait fait l'objet d'une approbation unanime des membres du Conseil. En 1981, la C.U.D.L. décidait l'acquisition des terrains, mais des propriétaires étaient réticents, et c'est en 1985 qu'elle demande la D.U.P. au Préfet.

De vives oppositions locales se manifestent. Une association locale pour la qualité de l'environnement se crée en opposition au projet : c'est l'A.L.Q.U.E. avec deux animateurs (Docteur Setan à Quesnoy-sur-Deûle et Madame Knecht à Deulémont) ; très vite cette association regroupe quelque 700 adhérents, prend contact avec NORD-NATURE et adhère. NORD-NATURE, après examen du dossier, intervient vigoureusement : je suis reçu par Monsieur Notebart, Président de la C.U.D.L., le 27 mars 1986.

A cette réunion du 27/3/86, le Président s'engage :

I) à répondre à toutes les observations présentées dans le cadre de l'enquête publique et à prendre les mesures nécessaires pour remédier aux risques signalés s'ils sont vérifiés

2) à réexaminer l'ensemble de la politique des déchets de la Communauté afin de voir s'il existe des méthodologies nouvelles et performantes susceptibles d'être mises en œuvre.

C'est le début d'un ardent dialogue qui va durer plus d'un an, avec de multiples rebondissements et interventions diverses : conférences, communiqués de presse, lettres ouvertes, manifestations (à Deulémont, à Lille, marche Deulémont-Lille), demandes de rendez-vous au Ministère...

Le tumulus envisagé couvrait une surface de 90 hectares à 200 m des plus proches habitations. Il devait recevoir, par an, 350.000 tonnes de résidus d'usines d'incinération, plus 80.000 tonnes d'encombrants et 36.000 tonnes de boues de stations d'épuration, plus enfin 170.000 tonnes de déchets industriels dits non toxiques ; le projet prévoyait le reverdissement du tumulus quarante ans plus tard. Les risques, dans une zone très urbanisée, humide en permanence avec une nappe superficielle pratiquement à fleur de terre aux abords de la Deûle, n'étaient pas négligeables au-delà de la dégradation paysagère, des passages de camions et des odeurs.

En même temps une enquête publique est ouverte sur le projet de Tumulus et une étude d'impact est présentée. NORD-NATURE, pour sa part, rédige et présente sa propre étude et demande la saisine de l'étude d'impact officielle par le Ministère. Bien sûr, NORD-NATURE effectue ses propres observations, défavorables, sur le registre d'enquête.

A la campagne d'opposition menée par l'A.L.Q.U.E. et NORD-NATURE s'associent d'autres mouvements dont le M.N.L.E. et les Verts. Le Tumulus devient un "volcan" qui crache ses flammes partout. Mais la campagne porte ses fruits : la D.R.A.E., la D.D.E., la D.D.A. donnent des avis défavorables au projet. Le Président Notebart juge certainement prudent d'attendre avant de décider.

Une nouvelle réunion à laquelle je vais représenter NORD-NATURE est décidée pour le 16 juillet 1986, une Commission spéciale est nommée par le Président. Sur les suggestions de l'A.L.Q.U.E. et de NORD-NATURE, un projet de visite est programmé, ainsi qu'une vaste enquête sur le traitement des déchets dans de grandes villes françaises et quelques villes étrangères.

Cette année 1986 va marquer un tournant dans les réflexions sur le traitement des ordures ménagères et c'est le problème du Tumulus qui en a été certainement le moteur. NORD-NATURE avait déjà engagé sur ce problème sa propre réflexion, en particulier par un stage les 23 et 24 novembre 1985 (voir plus loin, chapitre "Sensibilisation, éducation et formation", et Bull. NN, 1986, fasc.44) sur le sujet "Déchets urbains, ressources urbaines".

Cette année 1986 est donc riche de réunions, débats et visites. Le Président Notebart, dans une réunion du 11 septembre, nomme un représentant de NORD-NATURE (moi-même) et un représentant de l'A.L.Q.U.E. (Docteur Setan) dans la Commission spéciale qui comprend une douzaine de personnes et qui va aller, aux frais de la C.U.D.L., visiter trois installations : l'incinérateur moderne de Genève, le prototype de méthanisation VALORGA installé à La Buisse près de Grenoble et le Centre de Tri "REVALORD" à Nancy ; la visite s'effectue les 23 et 24 novembre 1986 (avion, autobus, train) et s'avère extrêmement enrichissante pour tous, y compris, bien sûr, les élus et techniciens de la C.U.D.L.. Une réunion de compte-rendu/débat est programmée le 1er octobre, mais le Docteur Setan et moi-même sommes amenés à contester l'objectivité du rapport des services techniques de la C.U.D.L..

Nous demandons (l'A.L.Q.U.E. et NORD NATURE) une entrevue au Ministère sur ce sujet et sommes reçus par Monsieur Servan, Inspecteur général de l'environnement au Ministère, qui doit transmettre ses observations au Préfet pour la signature ou non de la D.U.P.

Le Préfet ne signera pas la D.U.P. et, en 1987, le Tumulus est abandonné, le dossier rangé aux archives.

Le dossier de la gigantesque décharge était classé. Mais restait celui du traitement des déchets de la C.U.D.L. NORD-NATURE avait inlassablement proposé des alternatives basées sur le tri sélectif, le recyclage, la méthanisation, le compostage. Si le tri a commencé et se met tout doucement en place, rien n'est réglé pour les traitements, les vieux incinérateurs (Halluin, Sequedin, Wasquehal) ont été fermés pour cause de rejets de dioxine. Mais les ordures ménagères et autres déchets partent toujours en décharge...ailleurs.

beaucoup reste à faire.

NORD-NATURE a fait, en concertation avec l'association locale, ce qu'elle devait faire, (demandes de rencontres et réunions avec le Président de la C.U.D.L.- cinq au cours de l'année 1986 -, protestations écrites tout azimut, rapport de contre-expertise, manifestations, intervention directe au Ministère à Paris, propositions, etc...) et l'a réussi. Aux élus de décider de la suite à donner... car si nous proposons, nous ne décidons pas.

Cependant, certaines de nos idées ont fait leur chemin : le tri sélectif se met en place, un incinérateur "moderne" s'installe à Halluin, surtout, un centre de valorisation (biométhanisation et compostage) doit fonctionner à Sequedin et le transport des déchets par péniche sur voie d'eau démarre.

 

Référence

- Compte-rendu activités 1986 de NORD-NATURE, J. Istas, Bull. NN, 1987, fasc.46, p.20-21

- Déchets urbains : Le Tumulus de Quesnoy-sur-Deule et Deulémont. Étude d'impact et rapport sur le projet, R. Dufour-Lefort, Bull. NN, 1986, fasc.44, p.46-48

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