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La Forêt de Nieppe, une zone humide prioritaire ? 5/5 : les menaces se précisent | ||||
Auteur : Alain Vaillant, Fédération Nord Nature Environnement | accueil |
Cette fiche pratique sur la Forêt de
Nieppe |
Généralités |
Aménagement du territoire autour de la Forêt |
Artificialisation du "fil de l'eau" |
Le statut de la Forêt de Nieppe |
Les menaces se précisent : >> vous y êtes |
Préliminaire
: dans les années 90, une coupe à blanc avec arrachage
des souches a été réalisée sur une cinquantaine
d'hectares dans le Bois Clébert (à l'ouest de la route qui part
de La Motte au Bois et se dirige vers Hazebrouck). Le terrain a été
complètement boulversé. Il a mis en échec plusieurs campagnes
de plantations (essences différentes) et il semble que, début
2013 ce sont des essences pionières (saule, ...)qui se sont installées.
Cela montre que :
+ cette forêt a une certaine fragilité par rapport à des
méthodes de gestion un peu sauvages
+ ceux qui gèrent cette forêt ignoraient cette fragilité
A) La gestion
de la forêt :
A1) Morcellement du massif forestier
• En 2006, L’ONF commence à installer 15,5 km de
nouvelles drèves au centre de trouées de 25m de large.
Ce sont des déchets métallurgiques qui sont utilisés pour
rendre carossable la partie centrale. Le but poursuivi étant la sortie
plus facile du bois coupé (ce qui augmenterait sa valeur économique).
Cela s'accompagne de la création de quelques mares.
Trouée de 25m de large après les coupes de bois et avant le remblaiement
central
Les écolos protestent contre ce morcellement du massif
forestier car cela serait préjudiciable à la biodiversité
(alors qu’au contraire, depuis quelques années, des politiques
publiques sont mises en place afin de créer des corridors biologiques
pour relier des cœurs de nature et cela coûte à la collectivité
!). Ces protestations n’aboutissent pas.
La Police de l’Eau (la MISE), qui a été alertée,
fait des relevés en forêt et dresse un procès verbal à
l’ONF au titre de remblaiement en zone humide que la Loi sur l'Eau et
les Milieux Aquatiques (LEMA) interdit. Le projet de 15,5km de nouvelles drèves
est arrêté. (depuis, il est resté « en l’état
», à l'exception de quelques finitions).(A)
• En 2010, l’ONF poursuit sa politique d’élargissement
à 25m des trouées comportant déjà une drève.
Cela est toujours préjudiciable à la biodiversité, mais
on ne peut pas s’y opposer avec la LEMA (Loi sur l'Eau et le Milieux Aquatiques).
La raison officielle évoquée par l'ONF est l'aération et
l'ensoleillement des parties carossables des drèves pour qu'elles se
dégradent moins vite au passage des engins de débardage du bois.
Il n'empêche, cela renforce le fractionnement du massif forestier, morcellement
néfaste à la biodiversité.
Drève à trouée élargie (photo AV 2010)
A2) Doublement de la production
de bois :
• Enoncé du problème :
"Le bois est un produit biologique de l’activité
des arbres L’évolution naturelle a doté le bois de caractéristiques
particulières: durabilité, résistance à la rupture
et aux chocs, élasticité etc. qui en font une ressource de grande
valeur technologique facile à obtenir et à mettre en œuvre.
Plus prosaïquement le bois est aussi une source d’énergie
de première qualité renouvelable et à portée de
main. Dans la nature et pour la nature le bois n’est pas une fin en soi
pas plus qu’un objectif de production. Naturellement le bois finit toujours
par se décomposer, être démembré dans ses briques
élémentaires et être réutilisé par la forêt.
C’est un cycle indispensable.
L’homme rompt ce cycle en sortant du bois de la forêt. et cherche
a orienter la production spontanée de bois vers l’optimisation
de la satisfaction durable de ses besoins . La production naturelle du bois
est lente, plusieurs décennies avant de pouvoir récolter le bois
. De plus le capital de production, l’arbre, est inséparable du
produit: le bois. Quand on récolte l’un on récolte l’autre.
La machine à produire et sa production se confondent. Si l’homme
veux aller trop vite ou prélever trop alors il met en péril l’ensemble
du système capital+production. Il y a bien un maximum que les forestiers
appellent, « la possibilité».
En volume, est ce significativement modifiable par des investissements productifs
orientés ? Hors l’augmentation de la surface forestière.la
réponse est non, compte tenu des contraintes génétiques,
pédologiques et climatiques. On peut temporairement récolter plus,
mais ce n’est alors qu’un rattrapage ou une anticipation qui peuvent
vite se transformer en casse nette du capital durable de production.
Connaître, en fait constater, cette possibilité biologique, distinguer
le stock de l’accroissement et encore plus prévoir son évolution
est extrêmement compliqué et aléatoire.
Rajoutons l’incertitude sur le bois vivant et mort à laisser en
forêt pour maintenir la vie et la fertilité de sols, les incertitudes
nouvelles du changement climatique, les injonctions contradictoires de la société
assoiffée de bois mais dans le même temps rétive à
le voir sous ses yeux sortir des forêts
En conclusion : on peut faire mieux, rééquilibrer, optimiser produire
durablement plus de qualité et de valeurs, mais on ne peut pas durablement
et sur le long terme espérer produire globalement plus de volume. "
(Hervé Le Bouler, pilote
du réseau Forêt de France Nature Environnement)
• Une erreur de statistique nationale
? :
Lors d’un colloque interne les 7 et 8 Mars 2011 le Directeur général
de l’ONF, Pascal Viné a annoncé que les données qui
avaient amené à lancer tout l’établissement dans
le « produire plus » de bois en volume étaient erronées.
Source de l'information : http://www.lalsace.fr/actualite/2011/04/17/forestiers-produire-plus-c-est-termine
En effet, les chiffres de l’IFN (inventaire forestier national) comportent
une erreur de 20 millions de m3 (sur 103 millions de m3 de production annoncés*).
Quelles sont les conséquences d'une simple erreur dans une statistique
?
+ le "rapport Puech", d'avril 2009, concernant le développement
de la filière bois à partir de la forêt française
est entaché d'une d'erreur importante sur notre ressource en bois
+ en mai 2009, à Urmatt en Alsace, le Président de la République
déclare dans un discours "vouloir un "plan bois extrèmement
puissant"
+ le "rapport Gaymard", octobre 2010, intitulé "L'Office
National des Forêts, outil d'une volonté" est entâché
de la même erreur et vise plus particulièrement l'ONF qui apparait
ainsi incompétent
+ pratiquement, les politiques ont mis la pression sur la direction de l'ONF
pour "produire plus" pression qui a été repercutée
sur tous les agents forestiers. Dire que cela est à l'origine des suicides
chez ces agents serait exagéré, mais cela a contribué à
dégrader fortement les conditions de travail. En plus, les arbres coupés
en forêts domaniales l'ont été à des âges de
plus en plus jeunes et donc, c'est la biodiversité et le capital forestier
français qui ont été atteints
+ depuis, l'IFN a été intégré à l'IGN (Institut
Géographique National) qui est devenu l'Institut National de l'Information
Géographique et Forestière. Les données sur la forêt
française sont à l'adresse : inventaire-forestier.ign.fr/
(*) il s'agit de la productivité annuelle de la forêt avant l'exploitation
• Et en Forêt de Nieppe ?
:
"La production totale de bois, calculée sur les vingt
dernières années, y est de 8300 m3 par an. L’objectif du
plan de gestion 2012/2031 est de porter cette production à 18 000 m3
par an" Propos tenus lors de la présentation du plan
de gestion de la Forêt de Nieppe par l'ONF le 12/12/2011 en mairie de
Morbecque. Propos qui ont été rapportés, page 12, dans
le document "Lutter
contre les inondations dans le bassin de la Lys, un acte partagé d'aménagement
du territoire et de solidarité" sous la responsabilité
de l'EPTB Lys.
Remarque : le rédacteur de ces pages sur la Forêt de Nieppe n'avait
pas été invité à cette réunion
• Conclusion :
Nombre de promeneurs en forêt ont, déjà depuis plusieurs
années, le sentiment que l'on coupe des arbes de plus en plus jeunes
. Cela est confirmé par l'ONF qui veut plus que doubler la production
annuelle de bois de cette forêt. A coup sûr, cela sera possible
durant un certain temps, puis cette forêt deviendra improductive sur le
cours et le moyen terme en attendant que l'ensemble des jeunes arbres qui y
poussent aient une taille suffisante pour intéresser les acheteurs de
bois sur pied.
Alors, devant ces 2600 ha "improductifs", il risque d'y avoir un décideur
qui y installe un champ de panneaux photovoltaïques qui, eux, produisent
de l'énergie le lendemain de leur installation ... et on rasera
ce qui restait de LA FORET DE FLANDRE
B) La gestion des inondations :
Dans la vallée de la Lys, des communes (Merville, Haverskerque, ...) sont règulièrement inondées. Alors qu'il y a encore de l'eau dans des maisons, une visite en Forêt de Nieppe, juste en amont, montre que celle ci n'a pas été perturbée par un excès d'eau. Cela est perçu, à juste titre, comme un scandale.
B1) La Commission Locale de l'eau (CLE) de la Lys a passé de nombreuses années à élaborer le Schéma d'Aménagement et de Gestion de l'Eau (SAGE)de la Lys. Ce SAGE, publié en 2009 est consultable intégralement ainsi que l'avis émis par Nord Nature Environnement lors de l'enquête publique préalable à son adoption. Durant la douzaine d'années des réunions de la CLE et de ses commissions, la préoccupation des inondations a été permanente, en particulier à travers les travaux et propositions de la commission
B2) En 2009, un EPTB Lys (Etablissement Public Territorial de Bassin) voit le jour, comme prolongement du Syndicat Mixte pour la Gestion du Sage de la Lys (SYMSAGEL). Son but est la mise en œuvre du SAGE de la Lys. Il a ainsi, entre autres, la légitimité pour la prévention des inondations à l’échelle du bassin versant de la Lys. Son président, Monsieur Flajolet, est le maire de Saint Venant. Une étude hydraulique a été menée pour cet EPTB dans le but de faire des estimations sur la capacité qu’aurait la Forêt de Nieppe à stocker de l’eau qui ainsi n’inonderait pas (ou moins) les communes de la vallée de la Lys en aval de la forêt. Pratiquement, cela reviendrait à considérer la forêt (ou une partie de la forêt) comme un bassin que l’on remplit quand il y a un risque d’inondation, puis que l’on vide quand le risque s’est éloigné.
• Cette étude présente plusieurs
caractéristiques importantes :
> elle est la suite de la déclaratioin à la presse de M. Flajolet
durant l'inondation centenale de la vallée de la Lys en 1993-94 : 'pour
ne pas inonder les maisons, il faudrait inonder la forêt de Nieppe"
(citation de mémoire).
> elle a été confiée à un bureau d'études
spécialisé en hydraulique (et non pas en environnement)et donc
les propositions qui en découlent ne sont pas "rendre à la
Forêt de Nieppe son caractère hydraulique de zone humide"
mais "on va faire des bassins pour stocker l'eau puis la relacher"
> on y apprend qu'actuellelment, l'hydraulique de la forêt est complètement
déconnectée de l'hydraulique du bassin versant de la rivière
La Bourre dont elle fait partie (La Bourre traverse la forêt). Voir la
carte du bassin versant avec la forêt page 18
> on y apprend indirectement que le cahier des charges fourni au bureau d'études
comportait l'estimation de l'utilisation de toute la surface de la forêt
comme zone de stockage d'eau
> on y trouve (page 99) un Synoptique fort intéressant du fonctionnement
hydraulique du secteur de la Forêt de Nieppe :
B3) Scénario proposé
de délestage du canal de la Nieppe vers 2 casiers du Bois d'amont :
Ce scénario est décrit dans les conclusions de l'étude
précitée (pages 161 et suivantes). Une version de ce scénario
ne nécessitant pas la lecture complète de l'étude et qui
en extrait les points essentiels a été réalisée
par l'EPTB Lys : c'est "Lutter
contre les inondations dans le bassin de la Lys, un acte partagé d'aménagement
du territoire et de solidarité".
• Les caractéristiques essentielles de
ce scénario sont :
> création en Forêt de Nieppe de 2 casiers inondables d'une
superficie totale de 64ha pour écréter un volume maximum de 155
000 m3. Ce volume sera prélevé dans le canal de la Nieppe au nord
du bois d'amont
> abaissement des lignes d'eau de 20 à 40 cm sur la commune de Morbecque
et de 2cm sur la Bourre au pont de Cappel Boom.
• Prises de positions publiques :
> L'office National des Forêts (ONF) qui est le gestionnaire de cette
forêt domaniale : article
de l'Indicateur des Flandres
> A l'initiatve d'Eric Plouvier, plusieurs associations riveraines se sont
prononcées pour ce projet: article
de l'Indicateur des Flandres
> La Commission Locale de l'Eau (CLE) de la Lys a pris position pour ce scénario
lors de sa réunion du 14 janvier 2013 : une seule voix s'est prononcée
contre, celle du rédacteur de cette fiche qui y représentait Nord
Nature Environnement. Il y a eu également 2 abstentions
• L'analyse de Nord Nature Environnement :
> Préliminaire : à Nord Nature Environnement, on ne défend
pas la nature pour la nature.
Protéger la nature, c'est protéger
l'homme, tel est le titre de la page d'accueil de ce site
internet. Ce n'est pas en artificialisant notre relation avec la nature que
nous pouvons régler les problèmes que nous avons en grande partie
créés en ignorant ou en méprisant la nature et les services
qu'elle nous rend gratuitement. Il faut, au contraire, essayer de se rapprocher
des fonctionnements de la nature pour espérer s'en sortir durablement
> Et les arbres avec les pieds dans l'eau ? Lors d'une présentation
de ce scénario organisée par des associations (le 28/11/2012 à
Steenbecque), le directeur scientifique du Conservatoirte botanique de Bailleul
a certifié que des chênes pédonculés peuvent subir
une inondation hivernale sans problème. Mais on a également des
inondations au printemps, en été, ... et là, aucune certification.
De plus, une forêt ce n'est pas que des arbres, c'est un ensemble de biodiversité
> A parir du pont de Cappel Boom, la Bourre doit encore parcourir 3km et
recevoir 1 affluent avant d'arriver à l'entrée de Merville. Cela
signifie pratiquement que ce scénario de délestage n'aura aucune
incidence sur les inondations à Merville ... de même pour Haverskerque
et Saint Venant. De plus, sur la commune de Morbecque les inondations ne sont
ni sufisamment intenses ni suffisamment fréquentes pour y justifier l'existence
d'un Plan de Prévention du Risque d'Inondation (PPRI) alors que c'est
le cas pour Merville, Haverskerque ... et autres communes situées sur
la Lys. Autrement dit, ce scénario est un "ballon d'essai".
Si cela réussi, pour diminuer notablement les risques d'inondations sur
les communes en aval de la forêt, il faudra sacrifier des centaines d'hectares
de la forêt !! (peut -être plus d'un millier)
C) Propositions de Nord Nature Environnement :
C1) Cadre général :
Dans la perspective du changement climatique et des phénomènes
météorologiques violents et répétés qui sont
annoncés, se rapprocher du fonctionnement naturel de notre environnement
constituera une "assurance vie". Il existe une solution qui respecterait
cette zone humide, lieu de vie exceptionnel, c’est tout simplement de
rétablir le niveau d’eau qui existait en forêt avant les
drainages excessifs. La forêt remplirait alors son rôle de zone
tampon stockant naturellement, et gratuitement, l’eau en excès.
C2) Un constat : durant la grande inondation de 1993-94, il est tombé dans notre secteur 17 cm d'eau en 2 semaines. Cela représente plus de 4 millions de m3 d'eau qui sont tombés sur le massif forestier. Toute cette eau s'est, à l'époque, retrouvée très rapidement dans la Lys via les Berquigneuls et a contribué à l'engorgement de la Lys canalisée et donc également aux inondations d'Haverskerque et de Merville (un des Berquigneuls sort de la forêt à moins d'un km du centre d'Haverskerque). Le scénario proposé par l'EPTB Lys commence la reconnection de l'hydrographie de la forêt avec celle de son bassin versant, mais, il est prévu dans ce scénario qu'un des 2 bassins forestiers de rétension se vide dans un Berquignel, certes plus tard, mais quand même ! Avant de réintroduire de l'eau dans la forêt, il aurait été préférable de ralentir la sortie de l'eau de la Forêt !
C3) 1ère proposition : ralentir la sortie de l'eau de la forêt. Toute l'eau de pluie qui sort de la forêt, après y être tombée, le fait via les 2 Berquigneuls (voir figure ci-dessus). Techniquement, la méthode consiste à mettre des limiteurs de débit au sortir de la forêt et sur le cours de ces Berquigneuls. Cela provoquera des remontées d'eau dans les fossés de la forêt, leur débordement et le débordements de ces Berquigneuls en période de crue. Mais cela n'est jamais que le fonctionnement de la nature qui dure depuis des millions d'années
C4) 2ème proposition : recréer le lit majeur de la Bourre dans sa traversée de la forët. C'est à dire abaisser les berges de ce cours d'eau pour qu'il déborde en période de crue. Cela devra se faire progressivement.
C5) 3ème proposition : améliorer l'évacuation de l'eau du canal à grand gabarit vers la mer pour que la lys canalisée ne serve plus de zone d'expansion de crue du douaisis pour éviter l'inondation de l'aglomération lilloise (voir la page Artificialisation du "fil de l'eau")
Notes :
(A) : c'était la première fois que la LEMA était appliquée
dans le secteur. Un autre cas s'est présenté ensuite à
Houplines où Nord Nature Environnement a fait appliquer la meme loi pour
arrêter un cultivateur qui remblayait une prairie humide en bordure de
Lys, aidé en cela par un entrepreneur de BTP
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