Les fiches de Nord Nature Collection "Milieux naturels" 2012 toutes les fiches
La Forêt de Nieppe, une zone humide prioritaire ? 5/5 : les menaces se précisent
Auteur : Alain Vaillant, Fédération Nord Nature Environnement accueil

 

Cette fiche pratique sur la Forêt de Nieppe
comporte 5 pages

Généralités
Aménagement du territoire autour de la Forêt
Artificialisation du "fil de l'eau"
Le statut de la Forêt de Nieppe
Les menaces se précisent : >> vous y êtes

 

Préliminaire : dans les années 90, une coupe à blanc avec arrachage des souches a été réalisée sur une cinquantaine d'hectares dans le Bois Clébert (à l'ouest de la route qui part de La Motte au Bois et se dirige vers Hazebrouck). Le terrain a été complètement boulversé. Il a mis en échec plusieurs campagnes de plantations (essences différentes) et il semble que, début 2013 ce sont des essences pionières (saule, ...)qui se sont installées.
Cela montre que :
+ cette forêt a une certaine fragilité par rapport à des méthodes de gestion un peu sauvages
+ ceux qui gèrent cette forêt ignoraient cette fragilité

A) La gestion de la forêt :
A1) Morcellement du massif forestier
• En 2006, L’ONF commence à installer 15,5 km de nouvelles drèves au centre de trouées de 25m de large. Ce sont des déchets métallurgiques qui sont utilisés pour rendre carossable la partie centrale. Le but poursuivi étant la sortie plus facile du bois coupé (ce qui augmenterait sa valeur économique). Cela s'accompagne de la création de quelques mares.


Trouée de 25m de large après les coupes de bois et avant le remblaiement central

Les écolos protestent contre ce morcellement du massif forestier car cela serait préjudiciable à la biodiversité (alors qu’au contraire, depuis quelques années, des politiques publiques sont mises en place afin de créer des corridors biologiques pour relier des cœurs de nature et cela coûte à la collectivité !). Ces protestations n’aboutissent pas.
La Police de l’Eau (la MISE), qui a été alertée, fait des relevés en forêt et dresse un procès verbal à l’ONF au titre de remblaiement en zone humide que la Loi sur l'Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA) interdit. Le projet de 15,5km de nouvelles drèves est arrêté. (depuis, il est resté « en l’état », à l'exception de quelques finitions).(A)
• En 2010, l’ONF poursuit sa politique d’élargissement à 25m des trouées comportant déjà une drève. Cela est toujours préjudiciable à la biodiversité, mais on ne peut pas s’y opposer avec la LEMA (Loi sur l'Eau et le Milieux Aquatiques). La raison officielle évoquée par l'ONF est l'aération et l'ensoleillement des parties carossables des drèves pour qu'elles se dégradent moins vite au passage des engins de débardage du bois. Il n'empêche, cela renforce le fractionnement du massif forestier, morcellement néfaste à la biodiversité.


Drève à trouée élargie (photo AV 2010)

A2) Doublement de la production de bois :
• Enoncé du problème :
"Le bois est un produit biologique de l’activité des arbres L’évolution naturelle a doté le bois de caractéristiques particulières: durabilité, résistance à la rupture et aux chocs, élasticité etc. qui en font une ressource de grande valeur technologique facile à obtenir et à mettre en œuvre. Plus prosaïquement le bois est aussi une source d’énergie de première qualité renouvelable et à portée de main. Dans la nature et pour la nature le bois n’est pas une fin en soi pas plus qu’un objectif de production. Naturellement le bois finit toujours par se décomposer, être démembré dans ses briques élémentaires et être réutilisé par la forêt. C’est un cycle indispensable.
L’homme rompt ce cycle en sortant du bois de la forêt. et cherche a orienter la production spontanée de bois vers l’optimisation de la satisfaction durable de ses besoins . La production naturelle du bois est lente, plusieurs décennies avant de pouvoir récolter le bois . De plus le capital de production, l’arbre, est inséparable du produit: le bois. Quand on récolte l’un on récolte l’autre. La machine à produire et sa production se confondent. Si l’homme veux aller trop vite ou prélever trop alors il met en péril l’ensemble du système capital+production. Il y a bien un maximum que les forestiers appellent, « la possibilité».
En volume, est ce significativement modifiable par des investissements productifs orientés ? Hors l’augmentation de la surface forestière.la réponse est non, compte tenu des contraintes génétiques, pédologiques et climatiques. On peut temporairement récolter plus, mais ce n’est alors qu’un rattrapage ou une anticipation qui peuvent vite se transformer en casse nette du capital durable de production.
Connaître, en fait constater, cette possibilité biologique, distinguer le stock de l’accroissement et encore plus prévoir son évolution est extrêmement compliqué et aléatoire.
Rajoutons l’incertitude sur le bois vivant et mort à laisser en forêt pour maintenir la vie et la fertilité de sols, les incertitudes nouvelles du changement climatique, les injonctions contradictoires de la société assoiffée de bois mais dans le même temps rétive à le voir sous ses yeux sortir des forêts
En conclusion : on peut faire mieux, rééquilibrer, optimiser produire durablement plus de qualité et de valeurs, mais on ne peut pas durablement et sur le long terme espérer produire globalement plus de volume. "
(Hervé Le Bouler, pilote du réseau Forêt de France Nature Environnement)

• Une erreur de statistique nationale ? :
Lors d’un colloque interne les 7 et 8 Mars 2011 le Directeur général de l’ONF, Pascal Viné a annoncé que les données qui avaient amené à lancer tout l’établissement dans le « produire plus » de bois en volume étaient erronées.
Source de l'information : http://www.lalsace.fr/actualite/2011/04/17/forestiers-produire-plus-c-est-termine
En effet, les chiffres de l’IFN (inventaire forestier national) comportent une erreur de 20 millions de m3 (sur 103 millions de m3 de production annoncés*).
Quelles sont les conséquences d'une simple erreur dans une statistique ?
+ le "rapport Puech", d'avril 2009, concernant le développement de la filière bois à partir de la forêt française est entaché d'une d'erreur importante sur notre ressource en bois
+ en mai 2009, à Urmatt en Alsace, le Président de la République déclare dans un discours "vouloir un "plan bois extrèmement puissant"
+ le "rapport Gaymard", octobre 2010, intitulé "L'Office National des Forêts, outil d'une volonté" est entâché de la même erreur et vise plus particulièrement l'ONF qui apparait ainsi incompétent
+ pratiquement, les politiques ont mis la pression sur la direction de l'ONF pour "produire plus" pression qui a été repercutée sur tous les agents forestiers. Dire que cela est à l'origine des suicides chez ces agents serait exagéré, mais cela a contribué à dégrader fortement les conditions de travail. En plus, les arbres coupés en forêts domaniales l'ont été à des âges de plus en plus jeunes et donc, c'est la biodiversité et le capital forestier français qui ont été atteints
+ depuis, l'IFN a été intégré à l'IGN (Institut Géographique National) qui est devenu l'Institut National de l'Information Géographique et Forestière. Les données sur la forêt française sont à l'adresse : inventaire-forestier.ign.fr/
(*) il s'agit de la productivité annuelle de la forêt avant l'exploitation

• Et en Forêt de Nieppe ? :
"La production totale de bois, calculée sur les vingt dernières années, y est de 8300 m3 par an. L’objectif du plan de gestion 2012/2031 est de porter cette production à 18 000 m3 par an" Propos tenus lors de la présentation du plan de gestion de la Forêt de Nieppe par l'ONF le 12/12/2011 en mairie de Morbecque. Propos qui ont été rapportés, page 12, dans le document "Lutter contre les inondations dans le bassin de la Lys, un acte partagé d'aménagement du territoire et de solidarité" sous la responsabilité de l'EPTB Lys.
Remarque : le rédacteur de ces pages sur la Forêt de Nieppe n'avait pas été invité à cette réunion

• Conclusion :
Nombre de promeneurs en forêt ont, déjà depuis plusieurs années, le sentiment que l'on coupe des arbes de plus en plus jeunes . Cela est confirmé par l'ONF qui veut plus que doubler la production annuelle de bois de cette forêt. A coup sûr, cela sera possible durant un certain temps, puis cette forêt deviendra improductive sur le cours et le moyen terme en attendant que l'ensemble des jeunes arbres qui y poussent aient une taille suffisante pour intéresser les acheteurs de bois sur pied.
Alors, devant ces 2600 ha "improductifs", il risque d'y avoir un décideur qui y installe un champ de panneaux photovoltaïques qui, eux, produisent de l'énergie le lendemain de leur installation ... et on rasera ce qui restait de LA FORET DE FLANDRE

B) La gestion des inondations :

Dans la vallée de la Lys, des communes (Merville, Haverskerque, ...) sont règulièrement inondées. Alors qu'il y a encore de l'eau dans des maisons, une visite en Forêt de Nieppe, juste en amont, montre que celle ci n'a pas été perturbée par un excès d'eau. Cela est perçu, à juste titre, comme un scandale.

B1) La Commission Locale de l'eau (CLE) de la Lys a passé de nombreuses années à élaborer le Schéma d'Aménagement et de Gestion de l'Eau (SAGE)de la Lys. Ce SAGE, publié en 2009 est consultable intégralement ainsi que l'avis émis par Nord Nature Environnement lors de l'enquête publique préalable à son adoption. Durant la douzaine d'années des réunions de la CLE et de ses commissions, la préoccupation des inondations a été permanente, en particulier à travers les travaux et propositions de la commission

B2) En 2009, un EPTB Lys (Etablissement Public Territorial de Bassin) voit le jour, comme prolongement du Syndicat Mixte pour la Gestion du Sage de la Lys (SYMSAGEL). Son but est la mise en œuvre du SAGE de la Lys. Il a ainsi, entre autres, la légitimité pour la prévention des inondations à l’échelle du bassin versant de la Lys. Son président, Monsieur Flajolet, est le maire de Saint Venant. Une étude hydraulique a été menée pour cet EPTB dans le but de faire des estimations sur la capacité qu’aurait la Forêt de Nieppe à stocker de l’eau qui ainsi n’inonderait pas (ou moins) les communes de la vallée de la Lys en aval de la forêt. Pratiquement, cela reviendrait à considérer la forêt (ou une partie de la forêt) comme un bassin que l’on remplit quand il y a un risque d’inondation, puis que l’on vide quand le risque s’est éloigné.

• Cette étude présente plusieurs caractéristiques importantes :

> elle est la suite de la déclaratioin à la presse de M. Flajolet durant l'inondation centenale de la vallée de la Lys en 1993-94 : 'pour ne pas inonder les maisons, il faudrait inonder la forêt de Nieppe" (citation de mémoire).
> elle a été confiée à un bureau d'études spécialisé en hydraulique (et non pas en environnement)et donc les propositions qui en découlent ne sont pas "rendre à la Forêt de Nieppe son caractère hydraulique de zone humide" mais "on va faire des bassins pour stocker l'eau puis la relacher"
> on y apprend qu'actuellelment, l'hydraulique de la forêt est complètement déconnectée de l'hydraulique du bassin versant de la rivière La Bourre dont elle fait partie (La Bourre traverse la forêt). Voir la carte du bassin versant avec la forêt page 18
> on y apprend indirectement que le cahier des charges fourni au bureau d'études comportait l'estimation de l'utilisation de toute la surface de la forêt comme zone de stockage d'eau
> on y trouve (page 99) un Synoptique fort intéressant du fonctionnement hydraulique du secteur de la Forêt de Nieppe :

B3) Scénario proposé de délestage du canal de la Nieppe vers 2 casiers du Bois d'amont :
Ce scénario est décrit dans les conclusions de l'étude précitée (pages 161 et suivantes). Une version de ce scénario ne nécessitant pas la lecture complète de l'étude et qui en extrait les points essentiels a été réalisée par l'EPTB Lys : c'est "Lutter contre les inondations dans le bassin de la Lys, un acte partagé d'aménagement du territoire et de solidarité".

• Les caractéristiques essentielles de ce scénario sont :
> création en Forêt de Nieppe de 2 casiers inondables d'une superficie totale de 64ha pour écréter un volume maximum de 155 000 m3. Ce volume sera prélevé dans le canal de la Nieppe au nord du bois d'amont
> abaissement des lignes d'eau de 20 à 40 cm sur la commune de Morbecque et de 2cm sur la Bourre au pont de Cappel Boom.

• Prises de positions publiques :
> L'office National des Forêts (ONF) qui est le gestionnaire de cette forêt domaniale : article de l'Indicateur des Flandres
> A l'initiatve d'Eric Plouvier, plusieurs associations riveraines se sont prononcées pour ce projet: article de l'Indicateur des Flandres
> La Commission Locale de l'Eau (CLE) de la Lys a pris position pour ce scénario lors de sa réunion du 14 janvier 2013 : une seule voix s'est prononcée contre, celle du rédacteur de cette fiche qui y représentait Nord Nature Environnement. Il y a eu également 2 abstentions

• L'analyse de Nord Nature Environnement :
> Préliminaire : à Nord Nature Environnement, on ne défend pas la nature pour la nature.
Protéger la nature, c'est protéger l'homme, tel est le titre de la page d'accueil de ce site internet. Ce n'est pas en artificialisant notre relation avec la nature que nous pouvons régler les problèmes que nous avons en grande partie créés en ignorant ou en méprisant la nature et les services qu'elle nous rend gratuitement. Il faut, au contraire, essayer de se rapprocher des fonctionnements de la nature pour espérer s'en sortir durablement
> Et les arbres avec les pieds dans l'eau ? Lors d'une présentation de ce scénario organisée par des associations (le 28/11/2012 à Steenbecque), le directeur scientifique du Conservatoirte botanique de Bailleul a certifié que des chênes pédonculés peuvent subir une inondation hivernale sans problème. Mais on a également des inondations au printemps, en été, ... et là, aucune certification. De plus, une forêt ce n'est pas que des arbres, c'est un ensemble de biodiversité
> A parir du pont de Cappel Boom, la Bourre doit encore parcourir 3km et recevoir 1 affluent avant d'arriver à l'entrée de Merville. Cela signifie pratiquement que ce scénario de délestage n'aura aucune incidence sur les inondations à Merville ... de même pour Haverskerque et Saint Venant. De plus, sur la commune de Morbecque les inondations ne sont ni sufisamment intenses ni suffisamment fréquentes pour y justifier l'existence d'un Plan de Prévention du Risque d'Inondation (PPRI) alors que c'est le cas pour Merville, Haverskerque ... et autres communes situées sur la Lys. Autrement dit, ce scénario est un "ballon d'essai". Si cela réussi, pour diminuer notablement les risques d'inondations sur les communes en aval de la forêt, il faudra sacrifier des centaines d'hectares de la forêt !! (peut -être plus d'un millier)

 

C) Propositions de Nord Nature Environnement :

C1) Cadre général :
Dans la perspective du changement climatique et des phénomènes météorologiques violents et répétés qui sont annoncés, se rapprocher du fonctionnement naturel de notre environnement constituera une "assurance vie". Il existe une solution qui respecterait cette zone humide, lieu de vie exceptionnel, c’est tout simplement de rétablir le niveau d’eau qui existait en forêt avant les drainages excessifs. La forêt remplirait alors son rôle de zone tampon stockant naturellement, et gratuitement, l’eau en excès.

C2) Un constat : durant la grande inondation de 1993-94, il est tombé dans notre secteur 17 cm d'eau en 2 semaines. Cela représente plus de 4 millions de m3 d'eau qui sont tombés sur le massif forestier. Toute cette eau s'est, à l'époque, retrouvée très rapidement dans la Lys via les Berquigneuls et a contribué à l'engorgement de la Lys canalisée et donc également aux inondations d'Haverskerque et de Merville (un des Berquigneuls sort de la forêt à moins d'un km du centre d'Haverskerque). Le scénario proposé par l'EPTB Lys commence la reconnection de l'hydrographie de la forêt avec celle de son bassin versant, mais, il est prévu dans ce scénario qu'un des 2 bassins forestiers de rétension se vide dans un Berquignel, certes plus tard, mais quand même ! Avant de réintroduire de l'eau dans la forêt, il aurait été préférable de ralentir la sortie de l'eau de la Forêt !

C3) 1ère proposition : ralentir la sortie de l'eau de la forêt. Toute l'eau de pluie qui sort de la forêt, après y être tombée, le fait via les 2 Berquigneuls (voir figure ci-dessus). Techniquement, la méthode consiste à mettre des limiteurs de débit au sortir de la forêt et sur le cours de ces Berquigneuls. Cela provoquera des remontées d'eau dans les fossés de la forêt, leur débordement et le débordements de ces Berquigneuls en période de crue. Mais cela n'est jamais que le fonctionnement de la nature qui dure depuis des millions d'années

C4) 2ème proposition : recréer le lit majeur de la Bourre dans sa traversée de la forët. C'est à dire abaisser les berges de ce cours d'eau pour qu'il déborde en période de crue. Cela devra se faire progressivement.

C5) 3ème proposition : améliorer l'évacuation de l'eau du canal à grand gabarit vers la mer pour que la lys canalisée ne serve plus de zone d'expansion de crue du douaisis pour éviter l'inondation de l'aglomération lilloise (voir la page Artificialisation du "fil de l'eau")

 

Notes :
(A) : c'était la première fois que la LEMA était appliquée dans le secteur. Un autre cas s'est présenté ensuite à Houplines où Nord Nature Environnement a fait appliquer la meme loi pour arrêter un cultivateur qui remblayait une prairie humide en bordure de Lys, aidé en cela par un entrepreneur de BTP

maison.gif (1048 octets)

flèche.gif (1041 octets)

Fédération Nord Nature, 23 rue Gosselet, 59000 LILLE - Tel 03.20.88.49.33 -  Fax 03.20.97.73.81 - mail : secretariat@nord-nature.org